Quel modèle d’organisation pour l’armée de l’air ?
Ayant récemment publié un « Concept », chroniqué ici-même, l’armée de l’air française, comme de manière générale les forces aériennes des pays occidentaux, doit faire face à une profonde remise en question du rôle et de la place de l’arme aérienne dans les conflits contemporains. Comme l’a montré brillamment Michel Goya pour le Liban et l’Irak, la guerre telle que nous la pratiquons coûte de plus en plus cher, et échoue désormais à produire de l’efficacité tactique, et encore moins stratégique. Les forces aériennes, culturellement orientées vers des solutions de haute technologie, sont sans doute les plus touchées par cette véritable crise du « modèle occidental de la guerre ». Comment, dans ce contexte, et alors qu’elle évolue dans un environnement budgétaire contraint, l’armée de l’air française peut-elle s’organiser pour faire face aux nouvelles conditions de la guerre ? Ce billet propose quelques pistes.
Une armée de l’air en synergie avec les forces terrestres
La création de l’armée de l’air en 1933 a répondu à la désaffection dont faisait l’objet celle-ci de la part de l’armée de terre, dont elle constituait jusque-là une composante. En dépit de cette indépendance, l’armée de l’air est restée une aviation avant tout dédiée à la coopération et à la défense aérienne, sans développer de véritable vision théorique de la guerre aérienne (le « Concept » publié récemment est le premier document de ce type depuis 1933). Aujourd’hui, l’âge d’or de l‘Airpower qui avait eu lieu dans la foulée de la première guerre du Golfe semble bel et bien fini. La relation entre forces terrestres et aériennes est revenue à l’avantage des premières. De ce fait, l’armée de l’air est redevenue une arme d’appui pour l’armée de terre. Ce qui n’exclut pas des opérations indépendantes ; toutefois, le scénario d’emploi probable de l’armée de l’air est bien en appui de forces terrestres. Dans ce contexte opérationnel, l’armée de l’air doit développer la synergie la plus grande possible avec l’armée de terre. D’ores et déjà, Tsahal semble suivre ce chemin, et la remise au premier plan de la manoeuvre terrestre est la leçon majeure tirée de la guerre de 2006 contre le Hezbollah. Le modèle israélien en matière d’emploi de la force aérienne est sans doute le plus pertinent pour la France, tant pour des raisons de format que de culture. Ce retour à une certaine forme d’aviation de coopération doit s’accompagner de sérieuses réflexions sur la répartition des tâches entre l’armée de l’air et l’ALAT (Aviation Légère de l’Armée de Terre), envisageant jusqu’à la fusion des deux entités, et s’accompagner de transformations dans la composition et l’organisation des unités aériennes. Dans ce contexte, l’expérience de la Luftwaffe pendant la seconde guerre mondiale (et qui fut également pensée au départ comme aviation de coopération) doit être méditée, pour tirer les leçons de l’échec final de celle-ci. De la même manière, l’expérience russe, où l’aviation est également subordonnée aux troupes terrestres, vaut la peine d’être étudiée.
Préserver les capacités de combat aérospatial « de haute intensité »
S’orienter vers une plus grande synergie avec l’armée de terre ne signifie pas abandonner la capacité de mener un combat aérospatial contre un adversaire doté de capacités avancées. Ce serait même dangereux, tant la prolifération d’armement modernes va s’accélérer dans les prochaines années. Le Rafale permet aujourd’hui à l’armée de l’air de « jouer dans la cour des grands » en matière de combat aérien. Outre la modernisation constante de celui-ci, il est déjà temps de penser à son successeur. En effet, le développement par la Chine (J-XX) et la Russie (PAK-FA), mais aussi bientôt peut-être par le Japon (ATD-X) de chasseurs de la classe du F/A-22 américain, et la prolifération de missiles sol-air très avancés fait craindre la perte, à terme, de la supériorité technologique dont bénéficient encore les pays occidentaux en matière d’aéronautique. Si rien ne presse encore, la R&D est un processus long et complexe, de même que la gestation d’un programme d’avion de combat (le premier vol du Rafale date de 1986). Que la solution soit nationale (ce qui n’est pas chimérique, comme le prouve le succès à l’exportation de l’excellent Gripen suédois) ou commune à plusieurs pays européens, l’enjeu est de taille. Les drones ne remplaceront pas l’avion piloté (cela supposerait des évolutions en informatique relevant encore du chimérique), et ne pas disposer de la supériorité aérienne pour une opération militaire équivaudrait à accepter des pertes démesurément élevées, sans garanties de succès. En termes d’organisation, cela veut dire fixer définitivement à au minimum 240 appareils de combat de classe Rafale ou supérieure le format de l’armée de l’air (de manière à garantir des capacités de projection décentes sans obérer l’entraînement et la défense aérienne). Cela veut aussi dire renouveler le parc de ravitailleurs en vol, en acquérant pour remplacer les vieux KC-135FR des A-330 du même type que ceux proposés par EADS pour l’USAF, mais aussi de monter sur cette plate-forme les systèmes d’alerte aérienne avancée et de commandement de type SDCA (AWACS) dont dispose l’armée de l’air. Leur nombre de 4 est par ailleurs trop faible pour garantir des capacités de projection. Un minimum de 6 semble plus raisonnable. Bien sûr, tout cela a un coût, et il n’est pas négligeable. Cependant, l’exmple récent des AWACS de l’OTAN que celle-ci n’a pu déployer en Afghanistan pour cause de blocages politiques de plusieurs Etats européens montre les dangers de ne pas posséder au niveau national les capacités nécessaire.Les choix doivent donc être politiques et non pas, comme aujourd’hui, budgétaires. Il s’agit en la matière ni plus ni moins qu’une question d’indépendance. Il en va de même au niveau des satellites. La capacité proposée par Dassault de permettre au Rafale de lancer des mini-satellites offre de nombreuses possibilités, en particulier en matière de communication et de renseignement : un mini-satellite lancé quelques heures auparavant peut permettre de disposer de capacités de renseignement efficaces à moindre coût, tout en contournant en partie le danger des armes anti-satellites. En ce qui concerne ce dernier domaine, la France devrait dès aujourd’hui acquérir la capacité de fabriquer ce type d’armes (sans en lancer la production, pour des raisons de traités sur la militarisation de l’espace).
Dans tous les cas, le principe de juste suffisance tecdhnologique doit primer, afin d’éviter les dérives de coût : ainsi un éventuel remplaçant du Rafale ne devra pas nécessairement être furtif à la manière du F/A-22 : en raison des progrès des senseurs, une technologie furtive « native » (intégrée dans la cellule) peut se voir frappée d’obsolescence. En revanche, il est des niches technologiques – et tactiques – ne pouvant être négligées, comme la suppression des défenses aériennes (SEAD) et, bien sûr, le combat aérien, qui restera nécessaire contre tout adversaire d’un niveau technique décent. Mais des solutions de faible coût existent : ainsi, il est possible de dériver d’une plate forme civile type A-330 un « camion à bombe » apte à transporter des missiles de croisière, offrant à la France un bombardier « stand-off » au moindre coût (qui pourrait en outre camoufler son approche dans le trafic aérien civil…)
Développer une véritable branche dédiée à la coopération
L’armée de l’air, sous son format actuel, n’est pas en mesure d’appuyer et de soutenir efficacement une intervention terrestre importante. Le déficit en avions de transport ne sera pas comblé par l’A-400M, qui coûtera bien trop cher pour être acquis en nombre suffisant par la France (50 appareils à 5 milliards d’euros selon EADS). En la matière, il serait préférable d’acquérir un très gros porteur dédié au transport stratégique mais doté de la seule technologie essentielle (à la manière des Antonov russes), et d’un appareil de la classe de l’A-400M mais doté de la « rusticité » du Transall : il semble difficile d’imaginer un posé d’assaut en zone hostile avec des A-400M hors de prix. L’aérotransport doit apporter au chef terrestre la possibilité de pratiquer des enveloppements par la 3e dimension du niveau GTIA / brigade : les hélicoptères seuls ne suffisent alors pas. La composante de transport aérien, dont les américains démontrent chaque jour en Afghanistan et en Irak l’utilité, est un effecteur majeur dans les conflits contemporains. En outre, disposer d’appareils de transport aérien rustique est essentiel pour intervenir dans la majeure partie des zones de « l’arc de crise » décrit par le LBDSN, en particulier en Afrique.
Toutefois, la composante transport n’est que l’une des facettes d’une approche véritablement « synergistique ». La seconde étape est le développement d’un avion dédié à l’appui aérien rapproché (Close Air Support ou CAS), intermédiaire entre l’A-10 et le Jaguar. Un tel appareil, véritable Stuka du XXIe siècle, serait peu cher (une étude récente sur un remplaçant de l’A-10 fixait le coût de celui-ci à 40 millions de dollars en voyant large ; 30 millions pièce est faisable). Ses principales vertus seraient la solidité, l’endurance, et la polyvalence : apte à soutenir une force blindée-mécanisée dans un contexte de haute intensité, ce type d’appareil est également capable de soutenir des opérations de contre-insurrection : le CAS est l’essence de l’appui des troupes terrestres. Un format réaliste serait de l’ordre de 150 à 250 appareils (pour un total d’acquisition de 10 milliards d’euros maximum, soit trois fois moins que le programme Rafale : les coûts de R&D seraient réduits, l’appareil pouvant se contenter d’équipements « sur étagère »). Ces appareils, comme l’a montré l’expérience américaine avec le A-10 (ou celle des russes en Afghanistan et en Tchétchénie avec le couple Mi-24/Su-25), sont complémentaires « par le haut » de l’action des hélicoptères de combat, qui gardent des rôles indispensables comme l’escorte des dispositifs héliportés). Cette branche de coopération pourrait être organisée en brigades d’appui aérien, directement rattachées à une brigade de l’armée de terre sur un modèle proche de celui retenu par les Marines américains. Des hélicoptères et des appareils de servitude complèteraient le tout. Le développement de cette branche de coopération devra s’accompagner du développement de centres d’opérations aériennes de l’avant, intégrés au PC de la force terrestre soutenue (qui sera donc interarmées) et ayant le contrôle de tous les moyens aériens soutenant celle-ci (y compris ceux de l’ALAT).
Drones : développer les concepts et les machines
Les drones, si ils ne constituent sans doute pas, contrairement à ce qu’annoncent régulièrement des « experts » en extase devant la technologie, les remplaçants des avions, en constituent un appoint devenu essentiel. Les capacités apportées par les drones en matière de reconnaissance mais aussi de frappe sont devenues essentielles, et complètent l’appui aérien traditionnel en lui apportant ce qui lui manquait : la persistance sur zone. Un drone peut rester des heures entières sur zone, apportant ainsi au commandant au sol son « satellite de poche », doté en outre de la capacité de frapper des cibles transitoires. Le développement des drones et les premières leçons émanant de leur emploi intensif en Afghanistan, au Liban, en Irak, permettent d’émettre des hypothèses d’emploi et d’organisation des drones, répartis en plusieurs catégories (MALE – Moyenne Altitude Longue Endurance, type Predator ; HALE – Haute Altitude Longue Endurance, type Global Hawk ; drones légers, employés en propre par les unités terrestres de niveau brigade, bataillon et inférieur). Les drones MALE sont plus particulièrement adaptés à un emploi décentralisé par les unités terrestres : pour cela, la station sol des systèmes MALE doit être intégrée au « COA de l’avant » déjà évoquée, et il conviendrait de les intégrer aux « brigades de coopération ». Cela permettra une meilleure réactivité, y compris dans un contexte de guerre électronique important. Les drones MALE seront donc l’aviation de la brigade ou du bataillon, employés comme mini « complexe de reconnaissance-frappe ». Les drones de niveau inférieur seront directement gérés par l’armée de l’air, et n’entrent pas dans la présente discussion. Quand aux drones HALE, ils sont les appareils de reconnaissance stratégique d’aujourd’hui. Leur emploi doit donc se faire au niveau du théâtre, en fonction des priorités du commandant de celui-ci. Véritables satellites de renseignement atmosphériques, les drones HALE disposent d’une capacité à durer inégalée. Leur intégration au combat aérospatial est envisageable, en tant « qu’oeil de Dieu » permettant de compléter les capacités d’un AWACS, par exemple.
En ce qui concerne les drones de combat, leurs capacités et leur emploi doit être pensé pour qu’il complète celui des appareils pilotés : leurs capacités restent donc à définir, tant les recherches en cours aux Etats-Unis semblent désormais s’orienter vers un débat « piloté contre non-piloté » aussi long et disputé qu’il est sans objet.
En définitive, les aviateurs vont sans doute devoir accepter de travailler plus étroitement avec leurs collègues de l’armée de terre, y compris en partageant plus souvent leur quotidien sur le terrain. L’inverse est également vrai, et l’armée de terre va devoir se poser la question de la place de l’ALAT dans un contexte de synergie interarmées. De même, afin d’exploiter au mieux les capacités de l’armée de l’air, l’armée de terre va devoir procéder à l’acquisition d’équipements de ciblage jusqu’au niveau compagnie, voire peloton/section.
L’état du monde impose aux armées de maîtriser des compétences variées, semblant parfois opposées : l’armée de l’air va devoir « jouer le nombre » en développant une solide capacité de coopération, sans perdre ses compétences en matière de combat aérospatial « classique ». L’équilibre est difficile, et passe par une prise de conscience accrue des pouvoirs politiques et des autorités militaires (en particulier dans l’armée de terre) des capacités apportées par la force aérienne, afin de dégager les budgets nécessaires. Pour l’armée de l’air, cela imposera, à l’instar de l’armée de terre ou de la marine, de tourner le dos à l’adoption systématique de solutions de haute technologie très coûteuses pour approcher la dimension technique avec pragmatisme et mesure. La dérive techniciste, sous l’influence américaine, n’est plus ni viable ni efficace militairement. Il convient donc d’innover ailleurs.
à Lame :
comment un adversaire pourra différencier le tir d’un ICBM équipé d’une charge classique d’un ICBM équipé d’une charge nucléaire ?
Trop d’incertitude dans l’emploi de missile stratégique dans un cadre conventionnel, cela pourrait provoquer une grosse méprise et entraîner une riposte malheureusement nucléaire de l’adversaire qui n’attendra pas le résultat d’un tir d’ICBM classique pour déclencher son propre tir.
La valeur stratégique d’une aviation militaire dépend essentiellement de sa capacité d’intervention càd du rayon d’action et de la fulgurance des interventions de ses appareils de combat. Or, le Territoire français est comparable à un archipel planétaire. Seul des appareils à très long rayons d’action et très grandes vitesses seraient susceptibles d’assurer sa défense aérienne ou effectuer des frappes contre un envahisseur.
Vu la situation de la France, l’Armée de l’Air ne pourra se doter d’engins adaptés aux impératifs du terrain que dans plusieurs décennies. Elle ne pourra être supplée par notre groupe aéronaval. Il faut donc se faire à l’idée que l’Armée française n’a tout simplement plus d’aviation. Quand le ciel est vide, comment s’en tirer? Avec des expédients.
Une des solutions seraient le développement d’une matrice de feux axés sur les missiles. L’idée serait de charger des ICBM à tête multiple avec des missiles anti-aériens, anti-chars ou anti-navires. En cas d’urgence, un ICBM serait tiré par un blindé, un navire ou un transport aérien et larguerait une poignée de missiles à proximité de la cible. Quant à l’appui-feu, il serait fourni par les Tigres ou des hélidrones.
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