Réfugiés ou déserteurs ?
Jean-Dominique Merchet, sur son blog Secret Défense, se fait écho des réactions d’officiers généraux en deuxième section face à la polémique suscitée par l’expulsion hors du territoire français de civils afghans en situation irrégulière. Il convient avant de lire ce qui va suivre de prendre au préalable connaissance de ces déclarations.
Sans rentrer en aucune manière dans la polémique en ce qui concerne la pertinence ou non de l’expulsion de ces personnes, il semble donc important de revenir sur les propos tenus à l’égard de ceux-ci par plusieurs généraux (2S), et ce de la manière la plus apaisée possible. Ceux-ci, en substance, font reproche aux réfugiés afghans d’avoir fui un combat juste pour leur pays en préférant à celui-ci le confort matériel de la société occidentale. Nous nous permettons de manifester notre désaccord sur le fond comme sur la forme quand à ces déclarations. Sur la forme d’abord. Ces propos manifestent certes l’empathie légitime et louable que ressentent ces grands soldats à l’égard de leurs frères d’armes de tous grades engagés dans une lutte difficile en Afghanistan, à laquelle nous nous associerons toujours ici. Cependant, à notre sens ils ne contribuent pas à apaiser le débat; au contraire ils attisent une polémique dont il serait préférable de faire l’économie, puisqu’elle masque les véritables questions que soulève la présence de réfugiés afghans sur le territoire français. Ces questions de fond sont donc également une cause de désaccord. Que l’ensemble des volontés et des énergies soit nécessaire pour accomplir l’objectif d’un Afghanistan en paix et prospère, on ne peut que le souhaiter. Que cet objectif doive en premier lieu être poursuivi avec toute l’énergie possible par les Afghans eux-mêmes, il s’agit là également d’une conviction. Mais que l’on puisse en conclure que tout Afghan ne prenant pas part au combat contre les Talibans est un lâche ou un traître, nous ne l’admettrons pas. Il ne s’agit pas ici de bien-pensance, à laquelle nous ne pensons pas avoir habitué le lectorat de ce blog. Cet avis est au contraire fondé sur un ensemble de raisons qui relèvent à la fois du pragmatisme et de l’éthique, par opposition au jugement moral dont ces déclarations relèvent.
La première de ces raisons est pratique. Quel que soit le conflit, et quel que soit le pays concerné, il est illusoire d’espérer que l’intégralité d’une population soit disposée à faire le sacrifice suprême, et ce quelle que soit la justesse de la cause. Sur ce point aucun pays ne nous semble en mesure de donner des leçons. Une seconde raison d’objecter à un tel jugement est que les personnes concernées ne sont pas des soldats. Cet état de fait à plusieurs conséquences. La première est bien évidemment que des civils ne peuvent être considérés comme des déserteurs, statut qui est celui d’un soldat qui quitte son poste de manière non autorisée. La seconde est liée au droit international, et au statut que celui-ci accorde aux réfugiés de guerre. L’attribution de ce statut n’est fondée que sur la réalité de la menace sur la vie d’un individu qui le revendiquerait, et non sur son aptitude ou non à participer à la lutte en cours dans son pays. Ici il nous semble que le jugement moral ne devrait pas entrer en ligne de compte. Si tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits, un lâche a autant le droit au statut de réfugié que le plus courageux des hommes, que cela nous plaise ou non. Mais la dernière, et la plus importante, des raisons pour laquelle nous objectons au jugement porté est éthique. Notre engagement en Afghanistan, dit le général Le Borgne, n’est pas tant lié à notre propre défense qu’à celle du peuple – des peuples – d’Afghanistan. Soit. Mais dans ce cas, dès l’instant où le premier soldat de l’OTAN a posé le pied en Afghanistan, nous nous sommes implicitement engagés à protéger les citoyens de ce pays des menaces qui pèsent sur eux. Que ce conflit engendre des réfugiés de guerre témoigne de notre incapacité jusqu’à présent à remplir cette mission parmi les plus sacrées du soldat, qui est la protection de l’innocent. Cette protection ne peut être que désintéressée, et de ce fait il ne nous appartient pas de juger de l’attitude de ceux que nos soldats protègent au péril de leur vie. Et ce n’est pas en stigmatisant le(s) peuple(s) d’Afghanistan que nous obtiendrons qu’ils soutiennent l’action de la coalition présente en Afghanistan et s’engagent à ses côtés. Au contraire, c’est en faisant preuve d’empathie et de tolérance, et par notre force de conviction – qui ne peut s’appuyer que sur le respect d’une éthique irréprochable – que nous serons en mesure d’emporter l’adhésion. La directive McChrystal ne dit, en réalité, pas autre chose.
En nous engageant en Afghanistan, et quelque puissent être nos arrière-pensées actuelles, nous avons pris un engagement auprès de la population de ce pays. Cet engagement est à sens unique. Si nous voulons que les Afghans où qu’ils soient s’engagent à nos côtés, porter un jugement moral sur leurs décisions que l’on peut imaginer difficiles – quel que soit le confort matériel de nos sociétés, il ne remplace pas la proximité des êtres chers – ne nous semble ni pertinent ni digne de la hauteur de vue que l’on peut exiger d’hommes tels que les généraux ayant pris position. Oui, il faut que les Afghans se battent s’ils veulent construire un pays digne d’eux. Mais dès lors que nous nous sommes engagés en Afghanistan de notre propre initiative, nous avons obligation d’au minimum faire preuve d’empathie à l’égard de ceux chez qui aujourd’hui nous livrons une guerre dont ils sont avant même nos soldats les premiers à pâtir. Il ne s’agit pas de tomber dans une victimisation d’autant plus abjecte qu’elle ne dissimule souvent que la lâcheté de ceux qui tiennent un tel discours, et encore moins d’inciter à l’abandon ou au manque de courage. Mais avant de juger autrui rappelons-nous que, une fois que tout est dit, la grandeur ne réside pas dans la droiture de notre morale mais dans la justesse de nos actes. Que ceux qui n’ont jamais péché jettent les premières pierres. Pour ma part, je crois qu’en la circonstance un peu de retenue ne serait pas de trop.
Guy de Loimbard
il me semble que vous commettez une erreur fondamentale. un soldat, fut-il professionnel, envoyé à l’autre bout de la planète n’exerce pas une démarche individuelle -voire contractuelle. ce n’est pas un mercenaire. il a signé un contrat pour servir la république en tous lieux et en tous temps, au risque de donner sa vie (acceptation consentie) et d’être détenteur de la force (allant jusqu’à tuer un autre homme) et on ne lui laisse pas le choix de sa mission. c’est tout l’honneur du soldat au service de la collectivité.
il ne peut y avoir de démarche individualisée en fonction de la localisation de l’engagement. la décision est prise par l’autorité politique, qu’il s’agisse de vigipirate, du liban, de la guyane ou de l’afghanistan.
@ yves cadiou
Pardonnez-moi de publier vos deux commentaires avec retard.
Vous avez tout à fait raison de souligner que les interventions des officiers généraux en deuxième section dont il est ici question s’inscrivent dans une polémique dont ils ne sont pas à l’origine, pas plus qu’ils n’ont été dans cette affaire les premiers à aller sur le terrain de la morale.
Ceci posé, je tiens à faire plusieurs clarifications. Il me semble normal et juste, dans une République libre, que les soldats soient considérés comme des citoyens à part entière, avec toute les conséquences que cela implique en terme de liberté d’expression. Si il me semble normal qu’un militaire en activité soit soumis – comme tout fonctionnaire – à un devoir de réserve, un militaire sorti du service actif ne devrait pas être traité différemment de n’importe quel autre citoyen en ce qui concerne son droit à s’exprimer sur n’importe quel sujet, qui doit être total. Dès lors, ma position n’a rien à voir avec la qualité des personnes s’étant exprimées. Mon intervention concernait la forme et le fond des propos tenus, dans le cadre d’un débat d’opinion normal dans un pays libre.
La question de la liberté d’expression des militaires d’active ou non, et de l’indéniable difficulté qu’il y a eu – et peut encore y avoir – en France à admettre qu’elle puisse exister, n’est donc pour moi pas la question ici.
Liberté d’expression
L’on a pu lire des réactions d’hostilité aux propos de trois G2S commentant librement l’expulsion d’Afghans qui, contrairement à nos lois, étaient sur notre territoire national. Examinons cette hostilité.
Il faut d’abord se souvenir des données qui sont à l’origine du débat : celui-ci s’est développé progressivement à la suite de plusieurs prises de positions successives qui ont obscurci peu à peu le fond de l’affaire.
Au départ, les autorités françaises ont expulsé des gens parce que leur situation n’était pas conforme à la loi française. Leur qualité d’Afghans n’entrait pas en ligne de compte dans cette décision, non plus que la moindre appréciation morale sur leur présence chez nous.
Puis des associations dont le fond de commerce est de contester la Loi ou son application ont protesté contre ces expulsions : mais du fait que ces expulsions étaient conformes à la Loi, les protestataires ne pouvaient pas invoquer une illégalité. Faute d’argument juridique, les associations protestataires ont transféré le débat vers le terrain moral.
Jusque là, nos trois généraux en retraite (G2S plus exactement, c’est-à-dire hors de l’activité) n’étaient pas concernés. Mais, sans doute sensibles à la provoc des associations contestataires, ils ont essayé de contrer celles-ci sur le terrain de la Morale.
Sur ce terrain ils estimaient avoir quelque chose à dire. Libre à eux, chacun a le droit d’exprimer son opinion.
S’ils avaient été non pas des retraités de l’Armée mais des retraités de la Poste, de la RATP, de la Préfecture, de l’Education ou de n’importe quelle autre profession, personne n’aurait protesté. Mais non : ils sont anciens militaires de carrière et par conséquent les commentateurs sont choqués, en fait, que ces militaires usent de la liberté d’expression due à tout citoyen. D’où la polémique.
Cette polémique n’est pas due à ce que disent ces militaires retraités mais au fait qu’on leur refuse le droit de le dire. Auraient-ils donné une opinion inverse, les réactions contre leur prise de parole sur un sujet sensible auraient fusé tout autant parce qu’ils sont militaires.
L’on assiste à un faux débat où personne ne le dit franchement : ce qui choque, c’est que des militaires entrent dans un débat qui les concerne à titre de citoyens.
Depuis quelques temps l’on admettait, c’était nouveau mais déjà un progrès pour La Grande Muette, que des militaires parlent du métier qu’ils sont les seuls à bien connaître. Longtemps on leur avait même dénié ce droit en dehors de publications spécialisées à faible diffusion.
Aujourd’hui, on leur refuse encore le droit de s’exprimer en leur qualité de citoyen : telle est la réalité de cette polémique qui ne porte pas, au fond, sur le statut de réfugié ou de déserteur afghan.
Elle porte sur la citoyenneté du militaire français. La IIIème République avait refusé le droit de vote aux Militaires, mais ce régime n’existe plus depuis soixante-dix ans.
Le maintien de restrictions à la liberté d’expression du Soldat lorsqu’il n’est plus en activité est, certes, confortable pour ceux qui ne sont pas du même avis que lui. Mais plus rien ne justifie, excepté le confort des contradicteurs, d’empêcher les membres de notre respectable profession d’agir en citoyens dégagés de toute obligation professionnelle dès lors que nous ne sommes plus en activité.
Il faut d’abord se souvenir des données qui sont à l’origine de ce débat : il est biaisé, il s’est développé progressivement à la suite de prises de positions successives qui ont obscurci peu à peu le fond de l’affaire.
Au départ, les autorités françaises ont expulsé des gens parce que leur situation n’était pas conforme à la loi française. Leur qualité d’Afghan n’entrait pas en ligne de compte dans cette décision, non plus que la moindre appréciation morale sur leur présence chez nous.
Puis des associations ont protesté contre ces expulsions : du fait que ces expulsions étaient conformes à la Loi, les protestataires ne pouvaient pas invoquer une illégalité et, faute de meilleure solution, ont transféré le débat vers le terrain moral.
Nos trois généraux en retraite (G2S, plus exactement) se sont précipités sur ce terrain où ils estimaient avoir quelque chose à dire. Libre à eux, chacun a le droit d’exprimer son opinion. S’ils avaient été retraités de la Poste, de la Préfecture, de l’Education ou de n’importe quelle autre profession, personne n’aurait protesté. Mais non : ils sont Militaires et par conséquent les commentateur sont choqués, en fait, qu’ils usent de la liberté d’expression due à tout citoyen. D’où la polémique.
Cette polémique n’est pas due à ce qu’ils disent mais au fait qu’on leur refuse le droit de le dire. Auraient-ils donné une opinion inverse, les réactions contre leur prise de parole sur un sujet sensible auraient fusé tout autant parce qu’ils sont militaires.
L’on a assisté à un faux débat où personne ne le dit franchement : ce qui choque, c’est que des militaires entrent dans un débat qui les concerne à titre de citoyens.
Depuis quelques temps l’on admettait, et c’était déjà un progrès pour La Grande Muette, que des militaires parlent du métier qu’ils sont les seuls à bien connaître. Longtemps on leur avait même dénié ce droit.
Aujourd’hui, on leur refuse encore le droit de s’exprimer en leur qualité de citoyen : telle est la réalité de cette polémique qui ne porte pas, au fond, sur le statut de réfugié ou de déserteur. Elle porte sur la qualité de citoyen du militaire et le maintien de restrictions à cette citoyenneté lorsqu’il n’est plus en service.
Enfin ! Merci !
Mener une guerre en Afghanistan est pour nous un choix. Les Français présents sur le terrain ont accepté le risque d’y être envoyés, ils sont professionnels. C’est un engagement courageux et louable, mais c’est avant tout un choix individuel. Subir une guerre sur son territoire n’en est pas un. Subir une présence étrangère non plus.
On a parfois l’impression que certains veulent faire payer à ces trois Afghans le prix d’une guerre dans laquelle ils estiment que la France n’a pas sa place…
Ce n’est pas moi qui vous contredirais, cher « Allié ». 😉
Cordialement