La suppression de l’Histoire et de la Géographie du programme des terminales S, une erreur dramatique
Comme Joseph Henrotin et Olivier Kempf sur leurs blogs respectifs, je suis scandalisé de cette suppression annoncée, qui constitue une erreur lourde de conséquences à la fois sur le plan politique et sur celui de la formation intellectuelle des citoyens français. La légèreté avec laquelle est prise une telle décision ne plaide pas en faveur de la classe politique française, qui devrait s’interroger davantage sur la portée de ses actes, et faire ce pour quoi elle est élue et payée, c’est à dire de la politique au sens noble du terme. Je reproduis donc ici un texte de Jacques Sapir, économiste dont nous avons déjà plusieurs fois évoqué les travaux, et qu’il me semble important de lire et de relayer. Comme Olivier, je ne peux qu’appeler les lecteurs de ce blog à réagir à ce billet, et à faire le plus de publicité possible à ce texte. Merci à L.H., qui a relayé ce texte et que je salue au passage.
« Je viens d’apprendre que le Ministre de l’Éducation Nationale vient de décider de supprimer l’Histoire et la Géographie comme matières obligatoires (il se propose de les maintenir dans un cadre optionnel) en Terminale Scientifique. Je suis anéanti et scandalisé par une telle décision.
Tout le monde peut comprendre, au vu de ce qu’est un lycéen aujourd’hui, et plus particulièrement dans une section scientifique avec une spécialisation renforcée par la réforme, qu’une telle décision va aboutir à la suppression totale de cet enseignement. Très peu nombreux seront les élèves qui prendront une telle option. Nous ne devons donc nourrir aucune illusion. Le caractère démagogique de la mesure est évident. Il fait reposer sur les élèves la décision de prendre ou de ne pas prendre les cours d’Histoire et Géographie à un moment où la spécialisation de la filière vient d’être réaffirmée. Alors que, aujourd’hui, plus de 50% des élèves ont choisi la Terminale Scientifique, ceci revient à enlever l’enseignement d’Histoire et Géographie à cette même proportion. Seul le rétablissement de l’Histoire et de la Géographie dans le cadre de cours obligatoires peut garantir qu’elles seront suivies par les élèves des Terminales Scientifiques.
Cette scandaleuse décision survient au moment même où, de la commémoration de l’anniversaire de la mort de Guy Môquet au grand débat sur « l’identité nationale », en passant par le projet d’un musée de l’Histoire de France, la question de l’Histoire, mais aussi de la Géographie (car la conscience nationale s’enracine dans des pays et des paysages) occupe une place centrale dans notre pays. On se souvient du livre de Fernand Braudel Identité de la France, et de la place qu’il donnait à la fois aux paysages et à l’Histoire dans la construction d’un sentiment national. Ce dernier ne saurait renier ce qu’il doit à ces deux disciplines ou alors, mais nous n’osons croire que tel soit le projet du gouvernement, cela reviendrait implicitement à le faire reposer sur une couleur de peau ou une religion, avec ce que cela impliquerait pour le coup comme rupture avec ce qui fait l’essence même du sentiment national en France. On peut alors s’interroger sur la logique d’une telle politique qui prétend faire de la conscience nationale une priorité, qui va même jusqu’à créer à cette fin un Ministère de l’Intégration, et qui la retire en réalité à la moitié des élèves de Terminale. Ce n’est plus de l’incohérence, c’est de la schizophrénie. Samy Cohen <cohen@ceri-sciences-po.org> Au-delà, les raisons sont nombreuses qui militent pour le maintien d’un enseignement d’Histoire et de Géographie pour les Terminales Scientifiques. Dans la formation du citoyen, ces disciplines ont un rôle absolument fondamental. La compréhension du monde contemporain, de ses crises économiques ou géostratégiques, des rapports de force qui se nouent et se dénouent en permanence entre les nations, implique la maîtrise de l’Histoire et de la Géographie. Est-ce à dire que, pour le Ministère de l’Éducation Nationale, les élèves des Terminales Scientifiques sont appelés à être des citoyens de seconde zone ? Est-ce à dire que l’on n’attend plus d’un mathématicien ou d’un physicien qu’il soit aussi un citoyen ? Ou bien, voudrait on ici organiser à terme une France à deux vitesses où d’un côté on aurait de grands décideurs dont la science serait au prix de leur conscience, et de l’autre le simple citoyen auquel on pourrait laisser ce savoir si nécessaire car devenu sans objet dans la mesure où ce dit citoyen ne pourrait plus peser sur les décisions politiques ? Il est vrai que l’on peut s’interroger aujourd’hui devant la réduction, sans cesse croissante, de la démocratie à ses simples formes, qui ont elles-mêmes été bafouées comme on l’a vu pour le vote du referendum de 2005.
Par ailleurs, cette décision est en réalité autodestructrice pour notre économie dont on prétend cependant que l’on veut en pousser l’externalisation. Aujourd’hui, dans les formations de pointe, qu’il s’agisse de Polytechnique (Chaire de management interculturel), des autres Grandes Écoles (École des Mines, École des Ponts et Chaussées) ou des Écoles de commerce et de gestion (HEC, ESSEC, SupdeCo, etc…), qui toutes impliquent de la part de l’étudiant une Terminale Scientifique, l’accent est mis sur la compréhension du monde contemporain. Ceci nécessite une formation de base en Géographie (humaine, économique et géopolitique) mais aussi une formation en Histoire afin de fournir les bases de compréhension des évolutions du monde contemporain. Ceci correspond à une demande spécifique des entreprises françaises qui sont de plus en plus engagées dans un processus d’internationalisation de leurs activités. Qu’il s’agisse de la question des contrats, ou encore du développement d’activités à l’expatriation, la connaissance des fondements historiques, géographiques et culturels de ces sociétés, qui pour certaines sont très différentes de la nôtre, est absolument indispensable. L’absence de ces disciplines, ou la réduction de leurs horaires à la portion congrue, défavoriseraient considérablement ceux des élèves de Terminale Scientifique qui ne veulent pas s’orienter vers des activités strictement en liaison avec les sciences de la nature.
C’est donc avec le sentiment que quelque chose de très grave est en train de se produire si nous n’y prenons garde que jécris. Moi-même, en tant qu’économiste, je ne cesse de mesurer ce que ma discipline doit à l’Histoire (pour l’histoire des crises économiques mais aussi des grandes institutions sociales et politiques dans lesquelles l’activité économique est insérée) mais aussi à la Géographie avec son étude des milieux naturels et humains, des phénomènes de densité tant démographique que sociale. Comment peut-on penser la crise actuelle sans la mémoire des crises précédentes ? Comment peut-on penser le développement de l’économie russe hors de tout contexte, comme si ce pays n’avait pas sa spécificité de par son histoire mais aussi de par son territoire ? Nous savons bien que les processus économiques ne sont pas les mêmes dans les capitales, à Moscou et à Saint-Pétersbourg, et dans les régions. On voit donc bien que si l’Économie n’est pas le simple prolongement de l’Histoire et de la Géographie, elle perd toute pertinence à ne pas se nourrir à ces deux disciplines, et ceci sans que cela soit exclusif d’autres (comme l’Anthropologie ou la Sociologie). Et je ne parle pas ici de mes activités de recherches stratégiques, qui, bien entendu, nécessitent l’Histoire et la Géographie.
Il faut donc arrêter cette mesure avant qu’il ne soit trop tard, et pour cela susciter le mouvement de protestation le plus important possible. »
La spécialisation des élèves à un niveau le plus bas possible correspond à une illusion de rationalisation de l’enseignement et donc des crédits dédiés. L’objectif des hommes politiques actuels se situe dans le court terme: les prochaines élections. L’éducation, qui a un effet sur le moyen et le long terme, n’a donc aucun intérêt. Ce ne sont pas ses effets et son rôle qui sont intéressants, mais la façon dont on peut s’en servir pour faire passer des messages.
La société de l’image et de l’information en temps réel a produit un phénomène contraire au sens de l’Histoire jusqu’à présent: une régression du temps sur lequel se projette le citoyen.
Pendant des siècles, le paysan ne pensait qu’en termes de saisons. Il était peu capable de se projeter à plus d’un ou deux ans. Puis, avec l’éducation, il a pu construire davantage, et voir à plus long terme, ce qui a favorisé son ascension sociale.
Aujourd’hui, la culture de l’immédiat a repris le dessus. La société de consommation vise à raccourcir le temps, et le consommateur cherche la satisfaction immédiate de ses désirs. Réduire sa culture et son savoir, et notamment sa connaissance de l’histoire et sa compréhension du monde et de la société, c’est en faire un sujet davantage soumis à « ceux qui savent ».
Je doute que cette suppression de l’accès à la culture et au savoir soit faite délibérément pour ces raisons, il s’agit davantage d’un phénomène macroscopique: les valeurs actuellement portées par notre société y conduisent de manière naturelle: individualisme, matérialisme, recherche de la satisfaction immédiate.
Dans ce contexte, il apparaît que l’éducation doive se voir remplacée par l’instruction, qui se borne à apporter des savoirs utiles à la société et non à l’individu lui-même, donc des savoirs techniques et non des méthodes de réflexion politiques – ainsi, on risque moins de remettre en cause la société actuelle.
Bonjour,
comme je l’ai dit il y a quelques jours sur Egéa, cette décision, si elle est un jour prochain entérinée, me fait hurler.
Je suis prof de langues, et je mesure également chaque jour, dans mon enseignement, ce que ma discipline doit à l’hitoire et à la géographie, quand les instructions officielles nous demandent non seulement d’enseigner la langue comme outil de communication, mais aussi d’aborder divers points de culture et civilisation des pays dont la langue est étudiée.
J’ai pu constater en cours que l’abord de points de culture et/ou civilisation sont parfois (très) difficile, dès lors que les élèves ont soit de grosses lacunes en histoire-géo, soit n’ont pas ces deux disciplines au programme de terminale (ce qui est le cas des terminales génie civil que j’ai cette année).
Je dois avouer, à la lecture de ce billet, que des craintes plus ou moins diffuses de la direction dans laquelle nos politiques veulent nous emmener, et ce d’une manière pour le moins peu claire, ne font que se préciser, et j’ai mal à ma démocratie, si je puis dire!!
Il est largement temps que nous autres citoyens réagissions.
De toute façon les politiques actuels ont un mal fou a assumer l’histoire de la France. Il faut dire que la République n’a pas la part belle dans cette histoire mais au lieu de reconnaitre qu’elle a été garante de la vérité historique vouloir aujourd’hui mentir par omission et faire l’autruche pour ne pas passer pour des mechants colonialistes du siecle dernier ou des incompétents dans des situations de crise… On se dit que les leçons de l’histoire ne sont effectivement pas les mêmes pour tous.
En ce qui me concerne connaitre son passé pour modifier l’avenir serait une ligne interessante qui permettrait peut être un jour a la France de se réveiller en ne restant pas sempiternellement le pays de la corruption, des privilèges et de la pensée unique ou de l’homme providentiel.
A defaut de pouvoir réécrire l’histoire a l’assemblée nationale on pourra au moins ne plus se soucier de question embarassantes tels que les apports du colonialisme, la responsabilité des politiques dans les guerres…
Au dela d’une décision de ce type il y a quand même un malaise plus grand qui est que celle ci est prise et qu’aucune réaction du corps enseignant ne se dévoile.
Les cours d’histoire a l’ecole sont pitoyables. On nous asseines 3 , 4 fois a des etapes différentes des cursus scolaires les grandes civilisations, des visions a des milles de la connaissance de nous même. On pourrait tout voir mais de façon thematique . Quelle perte de temps et quel gachis…faire de l’histoire comme cela…à la rigueur le ministre a peut être raison il faut mieux la supprimer. En clair je dis que c’est quelque chose de planifié depuis longtemps. L’histoire gêne !
Il est clair enfin que la France et son histoire font que son etude peut pousser a developper un sentiment d’appartenance a une nation qui possede un destin specifique et que cela est aux antipode de la volonté actuelle de création d’un melting pot europeen. On formera donc des europeens business man dans nos ecoles … On fera dans l’efficacité quand on voit la selection au fric qui existe a l’entrée aux grandes ecoles …
Moi j’ai fait histoire par gout …et parce que par chance mes parents n’avaient pas les moyens de me payer une ecole de commerce.
Et si l’attitude du gouvernement n’était pas schizophrène ?
Et si notre fameux Ministère de l’Intégration n’était que « brouillard de guerre » servant à cacher les véritables objectifs ?
Et si c’était les théoriciens de la fin de l’État-Nation et de son remplacement par un État-Entreprise au service des Entreprises, qui avançaient ainsi masqués ?
Sous cet éclairage, ce type de décision redevient cohérent. Un État-Entreprise a besoin de former des techniciens, pas des citoyens.
Et c’est bien sûr parfaitement suicidaire pour notre démocratie.
Est réellement une possibilité qu’envisage nos fonctionnaires ou une rumeur en passant ? Cela me semble impossible que l’on envisage réellement cette option.