Un conflit hybride ? La pertinence de l’étude de la seconde guerre mondiale sur le front de l’Est pour les conflits d’aujourd’hui et de demain
Le conflit qui opposa, de 1941 à 1945, l’Allemagne nazie à l’Union Soviétique fut un affrontement extrêmement brutal, responsable à lui seul de plus de 25 des 60 millions de morts de la seconde guerre mondiale (21 millions de morts soviétiques, civils et militaires compris et environ 5 millions de morts militaires allemands sur le front de l’Est). Si l’Histoire à principalement retenu de ce conflit les affrontements titanesques entre la Wehrmacht et l’Armée Rouge, comme Stalingrad ou Koursk, le front de l’Est fut également l’objet de luttes permanentes, de la Baltique à la Mer Noire, sur la ligne de front mais également en arrière de celle-ci. Guerre totale, absolue, la seconde guerre mondiale sur le front de l’Est pourrait également être qualifiée de conflit « hybride », à l’image de ce à quoi ressembleront – peut-être – des conflits futurs mettant aux prises de grandes puissances. A ce titre, il est possible de relever certains sujets méritant d’être étudiés afin d’en tirer des leçons pour les engagements futurs.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient cependant de rappeler que la dimension idéologique du conflit rend malaisée certains « retours d’expérience », en particulier en matière de lutte anti-partisans : l’existence de commandos d’extermination côté allemand, l’extrême brutalité des deux régimes politiques antagonistes donnèrent au conflit germano-soviétique un caractère inhumain qui fausse l’analyse. Toutefois, l’exemple du front de l’Est permet de montrer que la seconde guerre mondiale reste un sujet d’étude pertinent, bien que difficile, pour les engagements contemporains, et qu’il serait dangereux de se restreindre aux conflits coloniaux ou de décolonisation (Afrique, Indochine, AFN, etc.) et aux engagements contemporains pour nourrir la pensée stratégique, sous peine de s’exposer à de douloureuses surprises.
Guerre en espace lacunaire : de la Blitzkrieg aux opérations dans la profondeur
L’intervention américaine en Irak en 2003 a vu les forces la coalition (Etats-Unis et Grande-Bretagne principalement) manoeuvrer rapidement dans la profondeur opérative voire stratégique d’un adversaire irakien il est vrai incapable de s’opposer au mouvement des colonnes alliées. Au delà de cet exemple, les armées occidentales modernes sont organisées en unités de taille réduites, et ne disposent plus de la masse nécessaire pour tenir un front large. Dans le même temps, les interventions probables verront ces forces engagées dans des territoires vastes, souvent vides d’hommes et d’infrastructures (désert, brousse, montagnes), dont les dimensions dépasseront largement les capacités de couverture des effectifs engagés. Dans ce contexte, la manoeuvre en espace lacunaire (dans les interstices du dispositif ennemi éventuel) sera la règle. A ce titre, l’expérience allemande et soviétique est particulièrement intéressante à étudier. Lors de Barbarossa (nom de l’invasion allemande de l’URSS), puis lors de l’offensive du printemps et de l’été 1942, les armées allemandes ont, une fois percées les lignes soviétiques, opéré sur de grandes distances de manière rapide (60 kilomètres de progression quotidienne en moyenne pour les Panzer-divisionen allemandes en juin 1941), faisant face à une opposition décousue, concentrée sur des môles de résistance (villages, bois, marais) et entrecoupées de contre-attaques blindées. De la même manière, les soviétiques ont à trois reprises eu l’occasion de manoeuvrer dans la profondeur opérative de leur adversaire : à l’hiver 1942-1943, lors des opérations ayant suivi l’encerclement puis la chute de Stalingrad ; à l’été 1943, après la bataille de Koursk ; à l’été 1944, à la suite de l’opération Bagration, cette dernière série d’offensives ne s’interrompant qu’au début 1945. L’expérience soviétique fut similaire à celle des allemands les années précédentes.
La similitude de ces opérations avec celles menées par les américains en 2003 est remarquable, et s’explique en partie par la transposition dans la pensée militaire US des principes de l’art opératif soviétique eux-même nourris de l’expérience de la « Grande guerre patriotique », au cours des années 1970-1980. La nature des théâtres actuels permet sans doute de retirer de précieuses leçons des expériences y compris tactiques des belligérants de la lutte sur le front de l’Est pour les engagements futurs, particulièrement pour les phases d’ouverture de théâtre et de coercition. Dans le désordre, on pourra citer comme points méritants d’être étudiés la conduite de la reconnaissance, le commandement en mouvement, l’intégration « synergistique » de la troisième dimension à la manoeuvre, la logistique dans un environnement aux infrastructures dégradées ou inexistantes, la sécurisation des axes de communication, l’équilibre interarmes et interarmées de la force.
L’espace urbain, enjeu et zone d’engagement
Sur le front de l’Est plus qu’en Europe occidentale, les centres urbains constituèrent à la fois l’enjeu de campagnes entières (Moscou, Leningrad, Stalingrad, Kharkov, Varsovie, Berlin, etc.), mais furent aussi le théâtre de combats extrèmement violents. Dans les deux cas, l’enjeu politique de la prise ou de la conservation de la ville domine la prise de décision, le cas de Stalingrad restant le plus emblématique. Du point de vue stratégique et opératif, l’étude de la relation entre la ville et son environnement serait riche d’enseignements pour le stratège moderne : la ville commande-t-elle à la campagne ? Ou bien est-ce l’inverse. La réponse n’est sans doute pas aussi tranchée, mais permettrait au travers d’exemples historique concrets de réfléchir à la question de l’engagement de la force en milieu urbain. Du point de vue tactique, la gestion des populations, les tactiques d’assaut, les méthodes de défense en milieu urbain, la fortification, l’emploi de l’artillerie et des blindés, méritent entre autres d’être étudiés. L’urbanisation croissante de l’humanité, mais aussi la dépendance gigantesque des villes en matière de ravitaillement, l’importance de la ville comme milieu « asymétrique » sont autant de raisons d’étudier la place des villes dans la guerre germano-soviétique.
Des enseignements tactiques variés pertinents
Au delà du combat urbain, la bataille de Koursk, les combats désespérés sur les hauts de Seelow en 1945, juste avant la prise de Berlin, sont par certains aspects très proches des combats que Tsahal a du affronter au Liban en 2006. De la même manière, la question de la protection des blindés, du rapport entre masse et puissance de feu, ainsi que de l’équilibre entre mobilité tactique et opérative dans la conception des véhicules et l’organisation des forces, protection des convois logistiques, sont autant de thèmes qui peuvent se trouver utilement éclairés par l’expérience du front de l’Est.
La question des partisans : une guerre asymétrique dans la guerre symétrique
Plus directement en prise avec les conflits actuels, la guerre germano-soviétique fut également le théâtre d’un affrontement sans merci entre l’armée allemande, mais aussi l’Armée Rouge (en Ukraine notamment), et des groupes de partisans souvent très bien armés, qui ne pris fin qu’en 1955 avec la réduction des derniers foyers de résistance ukrainiens par les soviétiques. Ce conflit, parallèle aux batailles conventionelles que l’Histoire a retenu, fut étroitement lié, en particulier par les soviétiques, aux opérations conventionelles menées par l’Armée Rouge. Les partisans contribuèrent à la défaite allemande de plusieurs manières : en perturbant les flux logistiques, en se livrant à des actes de terrorisme contre les forces occupantes, en immobilisant dans des missions de « stabilisation » brutales des effectifs importants, en contribuant au renseignement opératif et stratégique, en coopérant avec les unités régulières soviétiques. Cet emploi des partisans est intéressant parce qu’il constitue un modèle de ce que pourrait donner un éventuel conflit contre un pays disposant d’outils efficaces d’organisation de sa population. L’Iran pourrait très bien, en cas d’intervention occidentale, avoir recours à de telles méthodes. Les réussites et les échecs allemands, mais aussi soviétiques dans la gestion des partisans sont à ce titre à étudier, de même que, en France, l’emploi militaire de la Résistance par les alliés reste à être abordé par les historiens. L’existence d’un conflit asymétrique à l’intérieur d’un conflit conventionnel est par ailleurs un avertissement à tous ceux qui pensent la guerre conventionnelle disparue : dans un conflit futur impliquant des Etats (ce qui, le récent conflit russo-géorgien le montre, n’est pas une impossibilité), les deux formes de combat se côtoieront : l’un n’exclut pas l’autre.
La « démodernisation » de la Wehrmacht, un avertissement pour les armées occidentales
Face à l’expérience du front de l’Est, l’armée allemande subit, entre 1941 et 1945, une « démodernisation ». Ce phénomène eu plusieurs facettes, qui toutes sont des menaces pouvant frapper n’importe quelle armée occidentale professionnelle confrontée à un conflit inattendu, prolongé, ou très brutal. La première facette, la plus évidente, est celle de la diminution du niveau technologique global. Un simple exemple suffira à l’illustrer : en 1941, les Panzer-divisions allemandes sont intégralement motorisées ; en 1945, les tables d’organisation de ces mêmes unités prévoient des bataillons d’infanterie cyclistes et des unités du train hippomobiles. L’attrition et la trop tardive mobilisation industrielle allemande, ainsi que la nécessité de lever toujours plus d’unités, ont conduit à diminuer le niveau technologique global de l’armée allemande. Ce qui est intéressant, c’est que cette démodernisation technologique s’est accompagnée de la production d’armements très en avance : armements antichars (Panzerfaust), fusil d’assaut StG44, char Panther, chasseurs et bombardiers à réaction (Me-262, Ar-234), et même missiles (V-1, V2), mais que ces armements coûteux ont eu raison de la cohérence de l’ensemble : la qualité ne peut compenser la quantité et la performance de certains matériels est sans objet si des fonctions logisitiques élémentaires ne peuvent plus être accomplies. Ce premier volet de la démodernisation allemande invite ainsi à réfléchir sur les politiques industrielles et d’acquisition de l’armement, mais aussi la pertinence du choix de la haute technologie au prix du nombre et de la cohérence de l’outil militaire. Pour qui voudrait un exemple actuel, celui de l’US Air Force est sans doute le plus pertinent.
Le second volet de la démodernisation allemande fut tactique : les pertes colossales subies par l’armée allemande ne lui permirent pas de préserver la qualité de l’encadrement, et conduisirent à la promotion trop rapide d’officiers pour combler les pertes. Si l’efficacité tactique de la Wehrmacht se maintint tant bien que mal jusqu’en 1945, ce fut au prix de l’emploi pour accomplir des missions simples d’unités toujours plus grandes : là où un régiment aurait suffit en 1942, les contre-attaques de 1944 étaient conduites par des divisions ; en outre, l‘Auftragstaktik tant vantée fut sacrifiée dans les dernières années du conflit, et remplacée par un style de commandement beaucoup plus directif, afin de compenser la moindre qualité de l’encadrement aux échelons intermédiaires (régiment, bataillon, compagnie). Aussi, l’armée allemande de 1945 était du point de vue tactique, et à l’exception de quelques unités d’élites, arriérée par rapport à son adversaire soviétique qui avait lui subit l’évolution inverse. En raison de leur taille réduite, les armées occidentales modernes ne sont pas à l’abri d’un tel phénomène : les structures de formation sont globalement inadaptées à un rythme de « temps de guerre », et des pertes ponctuelles importantes peuvent durablement perturber l’efficacité tactique d’une armée occidentale moderne (quand on sait qu’il aurait fallu plus d’1/3 de l’armée française pour s’emparer de Fallujah, on peut sans peine imaginer l’effet de pertes en officiers et sous-officiers de l’ordre de 25%, qui correspondent à peu près à la moyenne historique de l’armée française : cela représentrait par exemple 8% des officiers de l’armée française, soit 1 officier sur 12, principalement aux échelons sublaternes : lieutenants, capitaines, et une perte considérable en sous-officiers expérimentés (sergents-chefs, adjudants)). En outre, l’emploi durable de forces pour des missions « non-conventionnelles » conduit à abaisser l’efficacité combattante des unités, qui perdent des compétences élémentaires faute de les pratiquer : les divisions allemandes employées à la lutte anti-partisans se montrèrent généralement de piètre qualité face à l’Armée Rouge ; de la même manière, l’armée américaine a constaté une déperdition des capacités conventionnelles de ses unités rentrant d’Irak, l’artillerie étant par exemple particulièrement touchée.
Le dernier aspect de la démodernisation allemande est celui qui eut les conséquences les plus graves : il s’agit de l’abaissement du niveau éthique de la Wehrmacht dans son ensemble. Il est possible de parler de « barbarisation », même si le terme est malheureux. Dans un contexte de peur constante de l’autre et de radicalisation extrême des adversaires, les armées allemandes furent amenées à se conduire de manière de plus en plus brutale tant vis à vis des soldats soviétiques que des civils, encouragées en celà par le pouvoir nazi et la dimension « raciale » de la guerre à l’est. En retour, les soviétiques firent également preuve d’une grande brutalité : dans les deux camps, le crime de guerre devint la norme. Les effets à moyen terme furent dévastateurs, nécessitant une discipline excessive (cas de condamnations à mort pour un vol de poules) pour éviter les débordements lorsque ceux-ci n’étaient pas encouragés et multipliant les désordres internes : taux de suicides élevé, par exemple. En dépit de ce que l’on pourrait penser, les conflits actuels ne sont pas préservés de ce genre de débordements : la tentation de la brutalité face à un adversaire fanatisé est grande. L’exemple américain récent (Abou Grahib, Guantanamo), l’exemple français en Algérie ou britannique en Irlande du Nord montrent que la perversion du jugement moral peut être rapide, mais aussi que ses conséquences sont de longue durée : ainsi la guerre d’Algérie affecte durablement la politique française non seulement vis à vis de ce pays mais aussi à l’égard du monde musulman en général, ou de la question de l’immigration. Les conséquences de la guerre en Irak sur la société américaine ne sont pas encore prévisibles, mais il est certain qu’il y en aura.
Les enseignements qu’il est possible de tirer de l’affrontement germano-soviétique sont donc nombreux. Si comparaison n’est pas raison, il n’en reste pas moins qu’il est impossible de rejeter a priori la seconde guerre mondiale comme pertinente pour comprendre et préparer les guerres actuelles et futures. La plupart des paradigmes obsolètes sur lesquels reposent nos appareils militaires datent en fait de la guerre froide. Juger toute la guerre industrielle comme périmée parce que les conditions de la guerre froide ne sont plus celles d’aujourd’hui est simpliste et dangereux. L’histoire militaire de la seconde guerre mondiale, encore très largement en chantier, renferme de nombreux enseignements pertinents aujourd’hui ; la guerre sur le front de l’Est mérite que l’on s’y attarde, et invite à la prudence : aucun des adversaires n’était réellement préparé à faire face au conflit qu’il eut à mener.
Même si je convient que la technologie n’est pas toujours la panacée dans un conflit. En matière au moins défensive, celle ci donne un avantage considérable face à un adversaire inférieure à ce niveau. Un escadron de Leclerc bien manœuvré sur un terrain connut peut démolir tout un régiment de T 72, du moins si l’on en croit la publicité du constructeur qui déclare qu’un Leclerc = 6 T 72
Tirer plus loin, plus précisément et plus vite que l’ennemi, si on a les stocks de munitions correspondant, permet de compenser une infériorité numérique flagrante.
Je découvre votre blog avec intérêt. A titre information, le CSEM (Cours supérieur d’état-major, ex école de guerre) organise un séminaire tactique le jeudi 11 décembe prochain à l’école militaire dont la matinée sera consacrée aux modes d’action à (ré)inventer dans les espaces lacunaires. Vos réflexions enrichiraient le débat. Contactez moi si vous souhaitez venir.
Conseil de lecture: René GIRARD, Penser Clausewitz…. Cela permettra certainement de relativiser ce que vous dîtes du christianisme notamment (je parle de la religion et non de l’usage politique qui en fut parfois fait… j’en profite, en tant qu’historien, pour vous contredire sur Pie XII. Non, il ne ferma pas les yeux ni la bouche, quand à l’accuser de connivence avec les Nazis par anticommunisme, c’est plutôt mal connaître le dossier et la polémique en cours.. mais bon, c’est un autre sujet)
Vous avez raison de souligner que l’aspect éthique est essentiel: on ne gagne pas à délégitimer l’autre sans lui offrir une porte de sortie, a fortiori lorsque l’on emploie ses méthodes ou que l’on « monte aux extrêmes » avec lui sur ces dernières. C’est le problème de la rivalité mimétique. J’ai commis un article sans prétention aucune sur le sujet dans le dernier numéro de Défense Nationale et Sécurité Collective. Je serais heureux de vous l’envoyer si vous ne l’avez pas lu. Il est certainement critiquable mais je crois qu’il pose quelques questions intéressantes…
Cordialement encore
Stéphane TAILLAT
ça va, A.g., pas de souci, excuses acceptées. L’intérêt d’un blog est de pouvoir échanger des points de vue différents, voire opposés, même vivement; mais parfois on veut tellement convaincre, ou bien on répond trop à chaud, et on se retrouve à obtenir l’effet inverse de celui qu’on voulait.
Je préfère ainsi vos derniers arguments, qui s’éloignent de ce que j’avais perçu comme une apologie d’une éthique extrême. Je continue néanmoins à penser qu’il y a une différence graduelle morale et finalement stratégique entre tolérer, « légitimer » et ériger en éthique nationale, voire en dogme, ces comportements opposés aux valeurs européennes actuelles. Mais vous avez le droit de penser que j’ai tort…
Pardon, Clarisse, j’ai été désagréable, c’est flagrant après relecture, peut être une mauvaise interprétation de vos propos.
Ce à quoi je pensais était plus une forme de résilience offensive qui concernerait le politique et la population en priorité et qui permettrai de déplacer le curseur du niveau de rupture psychologique des soldats, favoriserai le retour à la vie civile et repousserai les pathologies ou les suicides.
Celà passe d’après moi par légitimer des actions ou des moyens de recours à la force que l’on condamne plus facilement en Occident qu’en Russie ou en Asie par exemple comme le suggère Smith, solder sans les nier ou les réviser les aspects « toxique » -expression à la mode- de l’histoire, valoriser son armée pour faciliter son support de l’arrière. Et surtout délimiter plus nettement l’éthique applicable à ses populations, ses troupes, ses alliés face a celle de l’ennemie de façon ne pas lutter pour des idées mais contre l’ennemie.
Et le réel problème éthique du rwanda était peut être que les nations unies n’ont justement pas assumé le caractère guerrier d’une intervention armée, l’inaction face aux expressions de la barbarie comme elle est perçue en occident.
J’ai du mal m’exprimer si vous avez perçu mes propos comme une « lecture romantique » de la guerre, un regret du « duel à l’ancienne » ou encore une attitude « néo-coloniale » supérieure.
Il me semblait que le sujet du billet était celui des situations et moyens extrêmes imposés aux armées, de leur utilisation stratégique et de leurs conséquences imprévues et souvent opposées, à long terme, à l’objectif de départ.
Dans la lecture que propose Stent, si j’ai bien compris, la conclusion est que le politique qui impose à ses propres forces armées une mission niant son éthique nationale adopte une attitude inconsciemment mortifère, voire criminelle, qui a pour conséquence en retour l’autodestruction de son peuple, après avoir ravagé le sens de l’honneur de son armée.
Je pense qu’on pourrait rajouter à cette destructuration éthique de l’escalade dans la violence et à son processus de « barbarisation » son exact contraire : une impuissance imposée, une négation du sens de la guerre, qui détruit les valeurs les plus intimes d’une armée qui ne peut combattre. Ses effets en terme d’image sont essentiellement négatifs, l’assimilation avec la faiblesse, la lâcheté ou l’incompétence étant logiquement effectuée.
Je vous citerai un exemple, que vous pourrez ne pas trouver approprié : les conséquences morales et leurs répercussions publiques qu’eurent des ordres éthiquement impossibles à tenir pour le lieutenant-General Roméo Dallaire ( http://www.romeodallaire.com/shake-… )
Sa conclusion exprimera aussi mieux mon interrogation sur vos propos
« Are all humans human? Or… are some humans more human than others. »
Bonjour Clarisse;
Si on prends les bases, la trinité de Clausewitz, nous avons l’armée, le politique le peuple. Donc d’un point de vu stratégique pourquoi ne pas porter l’action sur le peuple. Blocus, déplacement…
Ensuite, plus que civil je préfère la notion d’ engagé non combattant. Je forcerais le trait en avançant que la seule différence entre un militaire et un civil c’est uniquement l’entrainement mais je ne crois pas à une totale neutralité de la partie civile dans un conflit et donc son immunité. Ceux ci produisent des ressources, des hommes, de la nourriture, des matériels, de l’intelligences et du moral qui sont de facto utilisés sur le champs de bataille.
Les anglais avaient cette approche dans leur doctrine de bombardement stratégique lors de la seconde guerre mondiale par exemple en favorisant le bombardement de quartier populaire plus que les usines. Les allemands s’en servaient également en canalisant les flux de réfugiés pour géner la progression des troupes françaises ou anglaise en 1940. A contrario les nords-vietnamien disposaient leurs pc anti-aériens dans les écoles et le hezbollah tirait ses roquettes du milieux d’une foule dense.
Et en conséquence oui, absolument oui, la famille d’un soldat de son pays compte plus qu’une famille civil ennemie. Vous ne pouvez trahir que les vôtres, vous ne trahissez pas l’ennemie puisque C’EST votre ennemie.
C’est exactement cette conception, essentiellement chrétienne et romantique du combat qui pour moi dessert l’action occidentale.
La guerre est une chose par nature horrible, c’est ce déni et la confusion comportement en temps paix et temps de guerre qui est frappant. En temps de paix que vous vous devez d’avoir une hygiène correcte,un comportement social correct et poli, réfreinez votre agressivité naturelle alors qu’au combat c’est exactement l’inverse, plongez dans la boue, pas de politesse et pour voir le soleil se lever le lendemain ou revoir votre famille vous allez devoir recevoir le contenu des intestins du type qui voulait vous tuer au couteau sur vous.
Après oui vous avez une philosophie type « Tirez les premiers, Messieurs… » mais ce n’est généralement pas ceux qui subissent le tir qui prônent ce genre de politique. Et çà me fait penser à un joueur de tarot qui n’auraient pas droit aux Rois et qui s’interdirait les usages d’atout supérieur a 15. Vous avez l’assurance de perdre sauf que sur le champs de bataille vous ne rejouez pas.
Pour ce qui est de la prédominance de l’éthique sur la survie votre approche est erronée.
Le ghandisme n’était pas si pacifiste que la légende, se traduisant pas des attentats anti anglais ou des affrontements avec les musulmans à hauteur de 250000 morts quand même. Par contre son affichage en terme de lutte psychologique à, comme vous le démontrez, réussi à occulter ce pan de l’histoire.
Enfin le christianisme à plus profité du déclin de l’empire romain et des autres religions polythéistes sans oublier plus tard son éthique particulière en amérique du sud lors de la colonisation espagnole, lors de la saint barthelemy, ou dans les années trentes avec Pie XII qui avaient quand même une grande mansuétude chrétienne pour ce qui se passaient sous son nez.
J’y vois aussi un reste de colonialisme, nous sommes supérieur à ceux que nous combattons, nos valeurs sont meilleures et même morts nos idées illumineront les populations.
Non, çà marche malheureusement pas comme çà.
A.g.,
je ne partage pas votre lecture de « l’optionalité » de l’éthique, qui serait d’une part à utiliser dans son comportement civil quotidien, et d’autre part à oublier et trahir en temps de conflit.
L’éthique d’une armée ne peut pas être non plus une monnaie d’échange destinée à l’adversaire (« nous vous traitons correctement, faites de même ») -il y a le cadre des lois de la guerre pour cela.
L’éthique d’une armée fait partie intégrante de sa stratégie, même si en face elle affronte une morale inverse. La guerre, dans les faits, n’est pas subie uniquement par les forces armées en présence, mais aussi et toujours par la population. Et c’est en respect de cette population civile que doit s’appliquer l’éthique, sinon vous créez une haine durable et vous indiquez par là même que vous ne voulez pas gagner pour soumettre, mais vaincre pour briser (en d’autres termes vous êtes animés par la haine et non par un idéal de justice).
Votre remarque sur la torture en Algérie ne me semble pas très heureuse non plus, « l’action des soldats » n’ayant pas été décidée par les soldats eux-mêmes mais bien validée par le politique; dans cette optique, la torture n’étant pas décrétée ni perçue comme « négative » éthiquement, il n’y avait pas lieu d’instaurer une « gestion politique et psychologique de ce problème ».
Quant la fin de votre dernière phrase, je la trouve humainement assez horrible. Vous utilisez un argument sentimental qui ne considère qu’un seul point de vue et semble indiquer qu’une famille de soldat compte plus qu’une famille civile ennemie (de plus je ne suis pas sûre qu’aujourd’hui nous soyons capables d’accepter un bombardement comme celui d’Hiroshima, ou même de Dresde).
Stent,
Pour revenir à « l’idéologie du surhomme », il est intéressant de noter que sur le long terme, on peut noter dans l’histoire des conflits ou des rapports de force asymétriques où la moralité et l’éthique ont finalement joué un rôle capital pour la survie – et la victoire – de celui qui paraissait le plus faible et le plus vulnérable, justement par son éthique non-violente : je pense juste au gandhisme et au christianisme(contre Rome), sans avoir le temps de développer ces idées ici.
D’abord merci d’avoir consacrer du temps pour me répondre.
J’entends vos propos, je les comprends et les appliques moi même en terme d’éthique.
Par contre plusieurs interrogations me viennent en terme de réflexion.
La première vient du coté naturel du comportement éthique. Je ne crois pas que l’attitude « de correction » soit totalement gratuite mais plus un investissement et un signal a l’opposant, nous vous traitons correctement, faites de même.
Concernant la distorsion entre les philosophies je pensais plus à la place de la vengeance dans la culture afghane et le mode de pensée américain. Je crois beaucoup à une sorte d’asymétrie dans la moralité au combat qui dessert les armés occidentales.
Je ne crois pas non plus que se comporter au quotidien comme on le fait en temps de paix dans une situation de guerre ou les repères sont totalement inversés soit judicieux.
Je veux dire par là que la participation au combat ne suffit pas il faut gagner, sinon vous ne continuez pas, vous ne rentrez pas. Ne pas vouloir donner de coups en dessous de la ceinture sur un ring est honorable mais si l’adversaire à des poings américains vous devez bien compenser. Les souffrances de la guerre d’algérie sont dû peut ètre plus à la gestion politique et psychologique de ce problème qu’à l’action des soldats. L’écho de ces malversations n’a peut être pas été assez contre-balancé par la publicité des exactions adverses ou des améliorations que la présence armée française apportait.
Je m’exprime sans doute avec moins de talents que vous, mais pour illustrer mon propos me viens à l’esprit la réflexion de Curtis LeMay sur les bombardements du Japon, « si nous avions perdu la guerre j’aurais été jugé pour crime contre l’humanité ». Ces actions de bombardement sont, vous avez raisons, aussi sournoises qu’une IED je n’avais pas fait le parallèle, mais si vous gagnez, si vous permettez aux familles de retrouver leurs enfants sains et saufs à la fin du conflit ce sera toujours supérieur aux multiples cérémonies funéraires justifiées par la moralité de votre combat.
Pour vous répondre, A.g., le processus de barbarisation est un cercle vicieux : l’adversaire est brutal, vous l’êtes également. La fois suivante, il l’est un peu plus, et vous aussi. A la fin du processus, les deux adversaires sont devenus ennemis mortels et leur éthique est où disparue, soit plus certainement pervertie, ce qui est plus dangereux, car les acteurs n’ont pas nécessairement conscience d’être « barbarisés » (ou en tout cas refuseront de l’admettre). Cette barbarisation présente plusieurs problèmes, à la fois philosphiques, pourrait-on dire, mais aussi pratiques. En effet, le processus de barbarisation, ou de brutalisation extrême, augmente le niveau de violence à des niveaux considérables. Cela provoque sur les combattants des pressions énormes. Le taux de suicides augmente (il est plus élevé dans la SS pendant la seconde guerre mondiale, par exemple, que dans le reste de la Wehrmacht). Cela provoque également un problème pour obtenir une résolution du conflit. La guerre sur le front de l’Est est politiquement une lutte à mort. L’Irak ou l’Afghanistan ne le sont pas au moins pour l’un des camps. Dans ce contexte, élever le niveau de violence conduira à prolonger le conflit et éloignera la perspective d’une résolution politique favorable. C’est d’une certaine manière ce qui est arrivé à al-Qaida en Irak : les populations sunnites les ont rejetés car trop « barbares », justement, et ont fini par préférer les américains auxquels elles étaient a priori plutôt hostiles. En outre, danser autour du cadavre de son adversaire ou utiliser des IED n’est pas plus « barbare » que d’arracher les dents en or des mourrants pour les conserver (comportement constaté sur des soldats US pendant le second conflit mondial) ou « jouer » avec des crânes (vu en Birmanie chez les Britanniques, dans le Pacifique chez les Américains ou plus récemment en Afghanistan avec des soldats allemands), ni que de bombarder à distance de sécurité. A ce premier problème pratique, il faut en ajouter un autre, philosophique. Vous dites que le « récepteur » ne comprend pas nécessairement le message éthique, qui serait donc inutile, en quelque sorte. Mais cette éthique n’est pas un message ! C’est une manière de se comporter au quotidien, un choix de vie. Cela dépasse largement la guerre psychologique ou l’influence. C’est aussi là que réside à mon avis la source de notre victoire ou de notre défaite morale. Gagner au prix de son âme, ce n’est pas gagner, c’est perdre dans tous les cas. Les souffrances encore provoquées aujourd’hui par la guerre d’Algérie en France sont là pour nous rappeler le prix à payer lorsque l’on « adapte » son éthique à la dureté du combat. Il y a là un enjeu non seulement de préservation de la raison des combattants, mais aussi de préservation de la Nation. Si des soldats français venaient à commettre des actes immoraux, c’est toute la France qui s’en rendrait coupable, l’armée n’étant pas distincte de l’Etat, et l’Etat de la Nation. Enfin, il existe également des risques politiques. N’oublions pas que l’expérience de la première guerre mondiale – qui comprenait une certaine forme de barbarisation sans doute – a nourri le nazisme et le fascisme, en favorisant l’émergence d’une idéologie du « surhomme » : celui qui faisait abstraction de son humanité, justement.
Bonjour,
J’ai découvert votre site via l’excellent blog de M. Henrotin et le vôtre rayonne d’un haut niveau de qualité.
Je me permet juste de vous poser une question sur l’aspect éthique ou plutôt sa perte que vous évoquez pour l’armée Us.
N’est ce pas plutôt une adaptation à l' »éthique » adverse ou les soldats sont exposés à des comportements plus « extreme » -danse a coté de cadavres de pilotes carbonisé, assassinat de médecin, ou refus d’engagement direct par usage d’ied- qu’une réelle barbarisation.
Pourquoi émettre un message « ethique » si le recepteur n’a pas le schéma pour le comprendre voir le retourne contre vous ?