Le futur de l’armée française ?

Depuis quelques années, la Grande-Bretagne est souvent prise pour modèle par les « reformateurs » français, que ce soit dans le domaine économique (curieusement, depuis la crise ceux-là se sont tus…) ou dans le domaine de la défense, où le MoD (le Ministère de la Défense britannique) est considéré comme un modèle de rationalisation administrative (partenariats public/privé, externalisations, etc.). L’armée britannique est considérée en France comme la meilleure armée d’Europe (avec l’armée française), et il n’est pas exagéré de dire que les réformes récentes issues du Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale (LBDSN) visent à aligner la structure de forces de l’armée française sur celle des britanniques.

Les réserves qui ont déjà été exprimées sur ce blog en septembre dernier sur le Livre Blanc (voir ici, particulièrement le paragraphe concernant ce que j’avais appelé le déclassement militaire de la France) se trouvent renforcées par un article de The Economist, disponible ici et qui concerne justement nos voisins britanniques. Le problème de la surchauffe de l’appareil militaire anglais n’est pas nouveau. Il prend néanmoins aujourd’hui des proportions considérables, et fait craindre à courte échéance un effondrement moral, particulièrement au sein de la British Army, la plus touchée du point de vue humain. La France, en continuant de considérer la Grande-Bretagne comme la puissance militaire de référence en Europe (et en cédant ainsi à ce mal français de l’autodénigrement permanent), prend le risque de courir à la même catastrophe. La situation militaire britannique – qui pourrait bientôt être celle de la France – invite à remettre à plat les choix engagés tant en termes de structure de forces que de moyens financiers, ou bien à accepter définitivement un déclassement militaire, qui alors que la crise économique s’installe pour durer, en dépit des déclarations – relevant plus de la méthode Coué que de l’analyse – des uns et des autres espérant un retour à la normale pour 2010-2011, et que les Européens commencent à pressentir que l’âge de paix qu’à connu leur continent relève plus de la parenthèse historique que de l’état normal du monde, serait un choix risqué et – disons-le – inconscient. L’armée française est encore relativement épargnée par les maux dont souffre sa consoeur britannique. Pour éviter qu’elle ne subisse à court ou moyen terme le même sort, il convient de remettre à plat les choix effectués concernant notre outil de défense.

Ces choix à courte vue montrent qu’il manque à la France une véritable « grande stratégie ». Le LBDSN, qu’on le regarde sous un angle ou sous un autre, ne constitue pas le document fondateur d’une stratégie nationale. Cette stratégie nécessiterait de revoir notre perception du monde autrement qu’en considérant celui-ci comme « en crise ». La crise, les crises plus exactement, sont une constante des relations internationales depuis l’antiquité. Ce n’est pas le monde qui a changé. C’est notre perception de celui-ci qui, affectée par des décennies de paix trompeuse, est devenue incapable de le voir pour ce qu’il est : un lieu de luttes d’influence et de pouvoir, de conflits et d’antagonismes. Cette situation est consubstantielle à la nature des relations humaines, et il existe de faibles chances de la voir se transformer dans un proche avenir. Dans ce contexte, la manière dont notre pays, et ses voisins européens avec lui, aborde les relations internationales est à la fois naïf (il suffit de lire cette note de l’IFRI sur le Code de conduite européen sur les activités spatiales pour voir de quoi je parle) et myope (le terrorisme et la grande criminalité ne sont pas des enjeux stratégiques majeurs). Cela peut sembler éloigné des problèmes spécifiques des armées, mais c’est en fait totalement lié. Le choix de consacrer 2% du PIB à la défense n’est pas un choix budgétaire. C’est un choix stratégique, et en l’occurence un mauvais choix. Comme le dit un général anglais dans l’article de The Economist déjà cité, « You cannot have a first-division army, navy and air force—and a nuclear deterrent—for £34 billion a year. » Tant que l’on considérera le niveau du budget de la défense comme un choix budgétaire, il n’y aura pas de stratégie crédible possible (la même chose est vraie pour le budget des Affaires Etrangères, par exemple). Il faut cesser d’appliquer aux choses de la guerre les critères du management : une armée n’est pas rentable, et elle n’est pas efficiente : en la matière, le strict minimum est une recette pour des désastres. Mais une armée peut, à condition de lui en donner les moyens, être l’instrument efficace d’une stratégie de puissance. Elle peut apporter des résultats politiques gigantesques. Il faut admettre que ces résultats ne sont pas quantifiables, qu’ils ne sont pas chiffrables. Le retour sur investissement ne se mesure pas en espèces sonnantes et trébuchantes. Il se mesure en influence, en puissance, et en ultime ressort en propsérité et en vies sauvées – ou mieux encore, non menacées. Oui, l’armée coûte cher. Mais le prix à payer pour son déclin est bien pire.

Le réalisme et le pragmatisme sont essentiels dans l’élaboration d’une stratégie, et la prise en compte des moyens disponibles fait partie de ce réalisme. Mais le rôle de la politique est de donner aux ambitions des moyens. Réduire ses ambitions est, pour un pays comme la France, le choix de la médiocrité. C’est le choix du déclin, et de l’effacement. Si nous pensons que la République Française veut dire plus que les frontières de l’Hexagone, si nous pensons que la France représente un idéal qui en vaut la peine, si enfin nous voulons assurer durablement la sécurité et la prospérité de ce pays, ni le déclin, ni l’effacement, ni la dilution ne sont une voie à suivre. La France, disait de Gaulle, n’est elle-même qu’au premier rang. Il ne faudrait pas qu’une politique à courte vue lui fasse perdre son âme.