De l’art d’utiliser l’Histoire à mauvais escient
Depuis quelques temps, les déclarations sur l’Afghanistan faisant référence à l’Histoire de ce pays se multiplient, qu’elles soient le fait de militaires, d’hommes politiques ou d’analystes. Dernière en date, celle du premier ministre canadien Stephen Harper (voir le billet publié hier sur Secret Défense, le blog de J.-D. Merchet de Libération).
Ces déclarations, qui présentent invariablement l’Afghanistan comme un pays intenable, laissent un goût amer. En effet, l’Histoire est bien commode pour justifier l’échec d’une non-stratégie qui, depuis la fin 2001, a échoué à vaincre les Talibans mais aussi et surtout à contrôler l’Afghanistan, ce qui implique mais ne se réduit pas à la défaite des Talibans précités. L’Histoire est une formidable source de connaissance, de compréhension et d’enseignements. Elle n’est pas, en revanche, l’expression d’une fatalité. Avoir recours à l’Histoire pour justifier ce qui n’est pas encore une défaite, mais qui n’est décidément pas une victoire, c’est tenter de justifier le renoncement. Si, comme le dit la lettre de mission de Pierre Lellouche, nouvel « envoyé spécial » du président de la République en Asie centrale, la situation en Afghanistan et au Pakistan est « lourde de menaces pour la sécurité internationale », alors rien dans l’Histoire de l’Afghanistan ne doit nous détourner de la victoire.
Le véritable problème de l’Afghanistan n’est pas à rechercher dans une hypothétique fatalité historique, mais dans l’absence de stratégie des États présents en Afghanistan. Bien malin aujourd’hui celui qui est capable de définir les buts de guerre et les buts dans la guerre (pour reprendre cette division clausewitzienne) de la coalition d’États à l’œuvre en Asie centrale, au delà des poncifs sur la liberté et la défense d’un peuple afghan dont, très franchement, peu de gens semblent se préoccuper. La défense de la stabilité du Pakistan, désormais évoquée, n’est pas en elle-même un objectif stratégique, mais un pis-aller à une situation intérieure pakistanaise que personne, à commencer par le gouvernement du Pakistan lui-même, ne semble vraiment contrôler. La stabilité telle que les occidentaux l’envisagent confine à l’immobilisme, ce qui semble difficile à obtenir dans une région, l’Asie, agitée par des transformations gigantesques depuis un demi-siècle. L’échec Afghan apparaît donc bien plus comme le symptôme d’une absence de vision stratégique du monde, qui se fonderait sur une appréciation réaliste de celui-ci, que comme la conséquence d’une inévitabilité historique.
Au demeurant, la justification historique est d’autant plus mauvaise qu’elle est en l’occurrence erronée. Il existe un empire qui a su, plusieurs siècles durant, tenir et conserver l’Afghanistan : il s’agit de l’Empire Mongol, qui conquis l’Afghanistan en 1219 et conserva le contrôle du pays jusqu’au début du XVIe siècle au moins. Quand on veut se servir de l’Histoire, encore faut-il la maîtriser.
Peut-être puis-je répondre avec retard à Clarisse. Par totalitarisme vert, je n’entendais pas seulement évoqué le cas afghan.
Je voulais signifier que si les islamiques totalitaires avaient choisi de tout faire pour étendre leur influence (je n’oublie pas que les premières victimes sont d’abord les musulmans eux-mêmes), nous n’avons pas d’autres choix que de les vaincre.
Et si il faut vaincre d’abord en Afghanistan et bien soit, soyons clairs et entrons réellement en guerre.
Je suis rassuré, j’avais fini par croire être le seul à s’énerver d’entendre rabâcher comme une lancinante rengaine que « l’Afghanistan ne peut être contrôlée par personne », avec à la clé toujours les mêmes mauvais exemples (les Anglais, les Russes).
Donc merci pour l’exemple Mongol, et merci aussi pour le petit rappel sur l’absence de but de guerre (inutile même de parler de buts dans la guerre en l’espèce…). Cela étant, cette absence permet aussi de nier le terme de « défaite », puisqu’on ne sait finalement pas trop ce qu’on fait là-bas…
« totalitarisme vert » ?
Je ne crois pas que ce soit le premier problème de l’Afghanistan, au risque de vous décevoir. Et le vert a beaucoup de nuances dans la région…
Voilà exprimés en quelques lignes les faits tels qu’ils sont et non tels qu’ils sont fantasmés !
Bravo, vraiment bravo !
Oui, notre sécurité passe par la défaite militaire et idéologique de ce totalitarisme vert. Il est utile de le dire et de le dire encore.
Comme le disait P. Lelouch hier soir lors d’une interview, « seuls certains pays combattent en Afghanistan, d’autres ne sont là que pour la figuration, d’autres en observation… ».
Il faudrait déjà:
1) définir des objectifs clairs,
2) une stratégie et des modes opératoires pour les atteindre,
3) organiser une articulation opérative unitaire avec des règles d’engagement communes,
4) assurer les flux logistiques et l’approvisionement,
5) aider la population en lui permettant de vendre ses productions agricoles à la coalitions, peut-être à un prix d’intervention plus élevé que celui du pavot acheté par les Talebs, et construire de toute pièce une industrie de transformation locale, avec l’aide de réservistes et de l’ONU, par exemple.
Double avantage: permettre à la population de s’affranchir de la tutelle des talebs, et de certains chefs de guerre locaux, assécher la manne financière d’Al Quaida et des Talibans.
Mais d’abord définir une stratégie: responsabilité politique.
A quoi servent donc nos hommes politiques? Qui peut les obliger à travailler?
« Le véritable problème de l’Afghanistan n’est pas à rechercher dans une hypothétique fatalité historique, mais dans l’absence de stratégie des États présents en Afghanistan. »
Muahahahahaha, il fallait oser pour dire ce que pas mal de monde doit penser tout bas. Les poncifs sur l’histoire de l’Aghanistan sont fatiguant.
Cela dit sur le fond, le premier ministre canadien ne fait que dire si qui a déjà été dit par d’autres(entre autre un général britannique dont j’ai oublié le nom). Cela me paraît être l’objectif le plus raisonnable et s’il n’est peut être pas écrit noir sur le blanc, il semble implicite.
Et pour faire dans la nuance, il y a contrôle et contrôle. La nature du pouvoir qu’exerçait les mongols sur la région devait être bien différente de celle d’un État moderne comme on l’entend aujourd’hui.
Ainsi que dans le petit ouvrage de Gérard Chaliand intitulé Les Empires nomades de la Mongolie au Danube.
Si je peux me permettre…
Les guerres en Asie centrale entre la fin de la conquete islamique et la fin du moyen age sont très bien décrites dans l’Empire de steppes de René Grousset, un ouvrage de référence.
http://classiques.uqac.ca/classique…
La lecture de l’histoire de ces conflits très complexes, marqués par des massacres, des insurections, des batailles, des trahisons, des ralliements, etc. relativise la situation actuelle qui est difficile pour nos forces.