Pourquoi il faut sauver Descartes
La Raison n’a, par les temps qui courent, pas bonne presse dans les sociétés occidentales. Tout en en préservant les apparences, et sans jamais la nommer, on lui fait un faux procès, en confondant notre incapacité – ou notre refus – de penser le monde contemporain avec une impossibilité de le comprendre et de l’expliquer. Pire, on reproche à la Raison de ne pas résoudre nos problèmes. Mais c’est oublier que la Raison, si elle éclaire, ne dispense pas de l’action. Il ne suffit pas de savoir pour pouvoir, et encore moins pour vouloir. Toujours est-il que l’on ne considère plus que la Raison constitue une clé pour appréhender le monde contemporain, qualifié gratuitement de « trop complexe », manière en fait simpliste de se trouver des excuses pour un manque d’effort intellectuel. Car dire du monde qu’il est trop complexe, de ses enjeux qu’ils sont « flous » n’est rien d’autre qu’une absence effrayante d’imagination, d’innovation et de réflexion. Symbole de la Raison, Descartes est devenu le bouc émissaire de ce procès en sorcellerie aussi idiot qu’effrayant, et hélas symptomatique de l’état d’urgence intellectuelle dans lequel se trouvent nos sociétés. Descartes, au travers de sa pensée, y est accusé de tous les maux. Le capitalisme : c’est Descartes. L’individualisme : Descartes. Les excès de la science : encore Descartes. Les problèmes environnementaux : Descartes, vous dit-on ! On pourrait presque croire qu’il s’agit de Fantômas…
Cet acharnement à s’en prendre à Descartes, et plus largement à la rationalité cartésienne, est non seulement un contresens dans l’analyse mais aussi un masque qui cache en fait l’opposé de la Raison que l’on met si facilement en cause, c’est-à-dire la véritable dictature du pathos qui règne désormais. Ce règne de l’émotion, ou plutôt de l’émotif, est bien plus que tout excès de rationalité au cœur de notre incapacité grandissante à appréhender le monde qui nous entoure. Et si il faut vraiment blâmer quelqu’un, alors c’est le mouvement des Lumières, collectivement, qui est bien plus que Descartes ou le cartésianisme responsable de la déconnexion des occidentaux, surtout européens d’ailleurs (« occidentaux » étant ici une commodité de langage, l’Occident étant un fantasme culturel), d’avec la réalité. En défendant une vision idéale, mais au fond profondément déraisonnable de l’Homme, et bien que tous ces philosophes aient été hommes de Raison, les Lumières ont ouvert la porte aux pires excès, certainement tout sauf raisonnables, du XXe siècle. Entendons-nous bien. Ni Voltaire, ni Rousseau, ni Diderot ou Montesquieu, pas plus que Kant ou Hegel, ne sont les responsables de quoi que se soit. Pas plus, donc, que Descartes. Et leur pensée, individuellement et collectivement, peut encore éclairer notre monde. Mais arrêtons de vouloir attribuer ou faire remonter à un homme ou à une pensée les dérives de notre société : si Descartes porte en lui les excès de la raison, il y a en filigrane chez Rousseau et Kant les hécatombes des guerres mondiales et les horreurs du totalitarisme. La philosophie, la pensée, ne sont certes pas neutres. Mais l’évolution d’un concept sur plusieurs siècles, et même dès lors que quelqu’un s’en empare, ne peut être imputée à l’inventeur du dit concept. Ce n’est pas le sabre qui tue, mais la main qui le porte. Si Descartes est jugé, c’est en fait en nous qu’il faut chercher ce qu’injustement on lui reproche.
C’est notre effroi de ce que notre propre raison nous révèle qui nous fait la jeter au feu. Il est bien plus confortable de se bercer d’illusions que d’accepter la vie comme elle est, et personne n’aime les porteurs de mauvaises nouvelles. L’essence de la raison lui fait jouer ce rôle de Cassandre. A ce titre, et comme Cassandre, elle nous montre le monde et devient la victime innocente de la peur que nous en avons. Car autant notre discours prône en toutes choses une modération qui, appliquée par exemple aux affaires étrangères pourrait par d’aucun être appelée lâcheté, autant nos sociétés font chaque jour l’étalage indécent d’un pathos d’autant plus dangereux qu’il est désormais érigé en vertu. On communie dans l’humanitarisme et le droit-de-l’hommisme, mais on en oublie que l’humanisme n’est pas la pitié. On loue un égalitarisme de façade qui est ni égal, ni juste, et on encense une liberté de faire n’importe quoi qui rend plus esclave que libre, et justifie en retour tous les excès sécuritaires. Pitié contre compassion, façade contre substance : au gré des émotions du moment, on s’intéresse, puis on délaisse causes et hommes, sans avoir jamais cherché à comprendre. Car on ne cherche plus, et surtout pas, à comprendre. Sur tous les sujets, dans tous les domaines, on s’évite de penser, parce que ce faisant il faudrait accepter une remise en cause pour laquelle on a plus d’énergie à fournir. Et la Raison souffre d’être bien mal servie par ceux qui devraient la défendre. Scientifiques, « philosophes », hommes qui devraient être d’État, nombreux sont ceux qui utilisent les formes de la raison pour défendre dogmes et idéologies. Le procédé n’est pas nouveau. Mais il est devenu d’autant plus insidieux qu’on le retrouve dans la bouche de ceux que notre société, pêchant en cela par naïveté, a élevé au rang de gardiens du temple de la déesse Raison. Hommes de science, journalistes, garde-fous essentiels de la société occidentale contemporaine, les uns devant être la voie de la Raison, les autres de la Vérité. Hors les premiers se font les avocats d’un positivisme devenu plus religieux que la religion qu’il voulait combattre (objectif au demeurant profondément discutable et… déraisonnable), et les seconds se font les boutefeux de passions aussi éphémères que dangereusement inutiles. Il y a, bien sûr, des hommes et des femmes de science et de presse remarquables, à la fois d’honnêteté et de raison. Et ils sont fort heureusement suffisamment nombreux pour ne désespérer d’aucune de ces professions. Mais ce ne sont hélas pas les plus entendus. Ni les uns ni les autres ne sont, au demeurant, responsables ou coupables de l’absence de pensée : arrêtons de chercher des coupables à tout. Ils ne sont que l’illustration d’un mal plus profond, d’un rejet de la véritable Raison qui a peut-être commencé le jour, déjà lointain, où on l’a faite déesse. Et les excès supposés du cartésianisme s’avèrent en fait être la preuve d’un rejet de la démarche initiale de Descartes.
Car le rejet de la Raison, c’est le rejet de la pensée. On confond, à tort, rationalité et certitude. En érigeant un temple à la Raison, on en a fait l’abri de nos certitudes, une excuse pour ne pas penser. C’est oublier que chez Descartes, au cœur de la pensée, il y a le doute. Un doute si grand qu’il remet tout en cause. Et que ce doute est salutaire, indispensable, et en définitive inévitable. Ce que Descartes montre, c’est non seulement que la Raison triomphe du doute, mais aussi qu’elle se nourrit du doute. Si l’on rejette aujourd’hui la raison, c’est qu’on refuse le doute. Pour raisonner, il faut accepter de ne pas savoir. Mais pour douter, il faut accepter de dépasser la peur. La Raison, et au demeurant la Liberté, c’est l’incertitude permanente. L’émotion, la Passion, qui procure la certitude des sentiments – le sentiment de la certitude ? – permet de se bercer plus longtemps d’illusions. Mais elle emprisonne. Car se bercer, tel est bien le mot, c’est refuser la liberté de l’Homme pour lui préférer la dépendance. C’est refuser d’aller vers le monde pour chercher à rentrer dans un giron maternant, tellement plus confortable que le Doute. Se bercer donc, c’est refuser de faire oeuvre de Raison et céder à la peur plutôt que de la surmonter. Il est à craindre que nos sociétés en prennent le chemin. Parce qu’il faudrait accepter de se faire violence, de se remettre en cause, on préfère dénigrer notre meilleur atout pour y réussir. C’est sans doute le signe que, collectivement, nous avons perdu la Raison. Quand un individu perd cette boussole essentielle, on l’aide à la retrouver, on le guide. Quand il s’agit d’une société, le monde est moins tendre, et le choix est alors entre faire face ou d’attendre que les évènements viennent d’eux-mêmes briser la coquille, au risque alors de ne plus pouvoir refaire surface. Il n’y a aucune raison pour que le second choix soit une fatalité : nous avons en nous les ressources nécessaires pour enjamber l’abîme. La Raison ni ne dispense de la compassion, ni n’encourage à la négation des émotions, bien au contraire. Mais pour qu’elle puisse, et elle seule le peut, nous aider à agir sur le monde en nous permettant de le comprendre, il faut lui faire confiance, et accepter l’effort et le doute. Peut-être ainsi cesserons-nous de voir les crises et les difficultés pour saisir les opportunités et inventer les solutions. Le choix nous appartient.
« En défendant une vision idéale, mais au fond profondément déraisonnable de l’Homme, et bien que tous ces philosophes aient été hommes de Raison, les Lumières ont ouvert la porte aux pires excès, certainement tout sauf raisonnables, du XXe siècle. Entendons-nous bien. Ni Voltaire, ni Rousseau, ni Diderot ou Montesquieu, pas plus que Kant ou Hegel, ne sont les responsables de quoi que se soit. »
Totalement d’accord avec vous. On peut même y ajouter Marx. Lui aussi est dans une continuité cartésienne. Un de ses torts, est peut-être d’avoir décrété que les formes de communisme précédent la sienne étaient des utopies. Seul son communisme étant qualifié de scientifique (par lui-même). Mais Marx n’a pas plus de sang sur ses mains que Voltaire ou Descartes.
@ Laurent
Très jolie citation de Spinoza.
Concernant le deuxième point de désaccord, je pense que ce n’en est pas vraiment un. D’abord parce que le « cartésiano-positivisme » est à mon sens un abâtardissement de la pensée cartésienne, et que le positivisme lui-même me pose de multiples problèmes de fond (en particulier dans son évolution vers un sectarisme scientifique). Comme je le disais dans ma réponse au premier commentaire de SD, je pense que la méthode cartésienne, prise à la lettre, peut être inadaptée à de nombreuses situations, mais que c’est pour cela qu’il faut la dépasser, pour aller vers l’essence de la méthode de Descartes, le doute, et donc l’acceptation de l’incertitude, si essentielle en stratégie (comme dans l’art opératif ou la tactique), car nécessaire à l’action dans ces situations « fluides, mouvantes et réciproques ». Quant à la dialectique, je m’efforce de la mettre au coeur de ma démarche intellectuelle, et j’ai d’ailleurs eu l’occasion d’employer le terme à plusieurs reprises ici-même. C’est effectivement un outil intellectuel que je considère comme essentiel, justement parce qu’il permet d’équilibrer Raison et fluidité, et de faire de la Raison un outil pour l’action. Enfin pour 1940, c’est la certitude (qui est à l’opposé de la Raison, puisqu’elle évacue le doute) qui est à mon avis à blâmer, bien plus encore une fois que Descartes ou sa pensée.
Concernant le premier désaccord, ma remise en cause des Lumières ne se voulait pas un mauvais procès de ce courant philosophique, bien au contraire. Je souhaitais simplement montrer qu’à ce jeu là, tout le monde était « coupable », et que cela en devenait absurde. Cela étant dit, il y a dans la pensée des Lumières certaines formes de totalitarisme en embryon, particulièrement dans la notion d’universalisme (l’impératif catégorique chez Kant, par exemple). Et ce n’est pas parce que le nazisme détestait les Lumières qu’il n’a pas pu être influencé par certaines formes dévoyées de leur philosphie. Mais ce n’est bien sûr pas une raison pour rejeter les Lumières ! L’apport de la philosophie du XVIIIe siècle à la pensée occidentale est particulièrement riche, et en aucun cas condamnable en tant que tel. Bien plus, les Lumières permettent aussi de résister au totalitarisme (et notamment au totalitarisme de la pensée, hélas toujours d’actualité). Ce que je voulais montrer, c’est qu’il est finalement absurde de vouloir toujours chercher des coupables, et de réinterpréter l’Histoire pour faire porter à un mouvement philosophique du XVIIe siècle (ou du XVIIIe) la responsabilité de nos propres erreurs.
Excellente et très salutaire mise au point en ces temps de destruction méthodique de la civilisation et de l’humanité ! Comme disait un contemporain de Descartes, Spinoza : « Ne pas rire, ni pleurer, mais comprendre ».
Deux modestes points de désaccord, toutefois :
– Attention à ne pas faire aux Lumières le même mauvais procès que certains font à Descartes (et que tu dénonces fort à propos). Les causes réelles des horreurs du XXe siècle sont à rechercher ailleurs. Le nazisme haïssait les Lumières (et il était déjà l’un des premiers représentants de la « dictature du pathos »). Quant aux totalitarismes chinois ou nord-coréen, ils n’ont guère de lien historique avec elles… N’oublions pas que l’une des lointaines racines de ces totalitarismes est peut-être à aller rechercher dans la mise en place des États absolutistes, dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Hannah Arendt a d’ailleurs dénoncé cette mise à mort, à cette époque-là, de l’humanisme de la Renaissance (ouvert et curieux de tout, poétique et conquérant, n’hésitant pas à intégrer la magie – ou ce qu’il appelait ainsi – dans sa pensée, etc.), et le véritable verrouillage de l’esprit occidental qui se mit alors en place.
– Même si Descartes lui-même et sa pensée ne sont pas responsables, en tout cas ses épigones ne sont pas innocents (en particuliers la vulgate positiviste qui se développa – surtout en France – à partir du XIXe siècle). Car le problème d’une certaine pensée « cartésiano-positiviste » est qu’elle se montre presque totalement impuissante à penser les situations fluides, mouvantes et réciproques. En d’autres termes, et si l’on me permet cette métaphore, de l’excellente photographie, mais pas du cinéma. Or, de telles situations sont à la base de la stratégie (et de l’opératique et de la tactique) – sauf à vouloir pratiquer l’art militaire de façon autiste. Il y a quelques années de cela, dans un ouvrage collectif sur la défaite de 1940 vue par des historiens étrangers (paru aux éditions Autrement), l’Américain Robert Doughty avait bien résumé ce problème dans le titre même de son chapitre : « La défaite de la logique et de la raison », dans lequel il décrivait un haut-commandement français désarçonné par le caractère « non-orthodoxe » de l’attaque allemande et incapable de penser la situation autrement que selon des schémas établis au préalable – autisme et psychorigidité. N’en tirons pas pour autant de conclusion trop hâtive : les causes de la défaite de 1940 sont nombreuses et complexes, et cela n’épuise pas le problème ; gardons-nous bien aussi de rejeter toute logique et toute raison. Or, des outils intellectuels existent, qui permettent de concilier, logique, Raison et complexité mouvante, le premier d’entre eux étant certainement celui proposé par les différentes écoles de pensée qui ont mis la DIALECTIQUE au centre de leur pensée (et il n’y a pas que les marxistes dans ce cas).
@ SD
Merci à vous, ce sont les commentaires comme le vôtre qui font vivre le débat. Et merci pour la précision sur Pythagore.
Pour en revenir à des sujets plus banals, la remise en cause de Descartes semble revenir à la mode outre-atlantique
Je n’ai que très vaguement suivi le débat mais c’est en rapport avec le « Systemic Operational Design » et bien entendu les « Effect Based Operation ». Un article dans le Joint Forces Quarterly en faisait une critique en dénonçant une vision « mécaniste » et « néo-newtonienne » de la guerre. Bref Descartes n’était pas loin et je ne sais par quel miracle il a échappé à l’attaque.
http://www.ndu.edu/inss/Press/jfq_p…
D’abord merci pour ces échanges passionnants et raisonnables.
Je comparais Copernic à Pythagore car ces deux grands hommes étaient mathématiciens et astronomes (et avaient d’autres connaissances savantes), comme Ptolémée. Il me semble que l’école d’astronomes de Pythagore a posé la plupart des bases théoriques de l’astronomie grecque presque 500 ans avant Ptolémée.
Bonne soirée
SD
@ SD
Descartes est-il en péril ? Lui-même, heureux homme, ne doit plus guère s’en soucier. Mais sa pensée est désormais si dénaturée qu’elle est menacée. Lorsque l’on attaque Descartes, comme in fine vous le faites ici, c’est généralement en en faisant une lecture au premier degré. Tout fondamentalisme, fut-il cartésien, est à combattre, parce qu’il est croyance et non raison justement. toutefois, lorsque l’on attaque Descartes, ce n’est pas pour le dépasser ou l’améliorer : c’est pour justifier l’impuissance.
Quand à Liebnitz (que j’apprécie) et Pascal (que j’estime beaucoup moins en tant qu’individu, notamment pour ce que je pense être une forme de fanatisme religieux, même si je lui reconnais un véritable génie et une impressionnante fulgurance, et donc dont je pense la lecture indispensable), on peut très bien les lire, et les apprécier, et en tirer nombre d’enseignements personnels et globaux sans pour autant tuer Descartes. Mon propos n’est pas d’opposer Descartes à Pascal ou Liebnitz. mais votre comparaison avec la Physique et les Mathématiques (la comparaison entre Copernic et Pythagore me semblant au demeurant peu pertinente ; peut-être vouliez vous dire Ptolémée ?) me semble inappropriée. La manière dont nous voyons l’évolution de la Physique aujourd’hui est, assez tristement d’ailleurs, une ligne droite de progrès successifs. Il n’en est pourtant pas ainsi, et il y a eu bouillonnements et balbutiements. Mais il en va bien autrement quant aux idées : il n’y a pas, en l’espèce, de progrès linéaire, et les idées sont un bouillonnement permanent. Des concepts nouveaux apparaissent. En sont-ils pourtant meilleurs ?
Pour revenir à Descartes, apprécier Liebnitz, Pascal et Descartes est tout à fait possible (c’est mon cas). L’enfermement est dangereux. Cela étant dit, l’actuel haro sur la pensée cartésienne est une erreur, et je maintiens mon propos à ce sujet. Il faut prendre chez Descartes ce qui est utile à l’esprit, essentiel à la pensée, et si il le faut jeter le reste (je ne pense pas que ce soit nécessaire) : le doute, essence de la méthode cartésienne, est un outil remarquable pour qui sait s’en servir. Travailler sans a priori, propre de la méthode promue par Descartes, est à mon avis un sage conseil, et ce quelle que soit le sujet d’étude. L’essence de la méthode cartésienne n’est donc pas, comme vous semblez le penser, à restreindre à des situations « qui évoluent peu ». Au contraire, plus une situation est complexe, plus il faut se remettre en cause. Et c’est bien ce que je dénonce : sous prétexte de complexité, on abandonne la réflexion. « Trop complexe » devient une excuse au défaut de raisonnement. Il ne s’agit pas là d’un artifice rhétorique de ma part : comptez le nombre de discours politiques partant du fait qu’un problème est « complexe » pour s’excuser de ne pouvoir y trouver de solution efficace. La complexité qui, je suis le premier à le penser, est tout sauf compliquée, a donc bon dos.
Quand au fait que, pour vous citer, « l’intelligence peut prendre des chemins différents pour arriver à une solution », je dirais que l’intelligence peut non seulement prendre des chemins différents mais trouver des solutions différentes, et non une seule comme vous sembler (involontairement je pense) l’impliquer. C’est effectivement fort heureux. Mais cela ne disqualifie pas la pensée cartésienne. Ce n’est pas parce qu’on rationalise des décisions passionnelles que cela disqualifie la Raison. Tout au plus cela prouve-t-il la grande force du raisonnement, qui est capable de donner sens à des choses qui n’en ont pas forcément.
Au demeurant, je ne dit pas que le fait de ressentir des émotions est mauvais, ni même que la passion est à bannir, comme peuvent le penser les Anciens. Et oui, les passions agitent l’humanité, et continueront de le faire. Mais se laisser gouverner par la passion, tuer la Raison comme on tue Dieu, c’est prouver finalement que la foi qu’on plaçait dans la Raison n’était qu’un culte creux, une idole dont on espérait des miracles. De la même manière que, pour paraphraser La Fontaine, le ciel ne nous aidera que si l’on s’aide soi-même, la Raison ne nous sert que si l’on en fait preuve avec raison. La Raison ne résout rien en elle même. Elle peut guider l’action. Elle ne peut la remplacer. S’en priver, toutefois, me semble dangereux. Si la Passion, à condition qu’elle soit contrôlée, peut être un puissant carburant, elle fait un piètre gouvernail.
Respectueusement,
Bonsoir,
Pourquoi sauver Descartes ? Est-il en péril? Je ne crois pas, bien au contraire.
Promouvoir Leibnitz ou Pascal n’est pas tuer Descartes ni sa pensée.
Einstein n’a pas « tué » Newton et Copernic n’a pas « tué » Pythagore
La méthode présentée dans le Discours de la méthode est utile pour résoudre des problèmes dans certains cas (un environnement qui évolue peu). Pour des situations complexes, ce n’est pas possible de l’appliquer correctement. Il faut d’autres méthodes. Une situation complexe n’est pas systématiquement compliquée (incompréhension). Par ailleurs, assimiler une grande « complexité » à un défaut de pensée me semble un raccourci facile sur le plan rhétorique mais bien peu raisonnable. En effet, l’intelligence peut prendre des chemins différents pour arriver à une solution et c’est fort heureux.
Oui, la raison a toute sa place dans notre monde (et pas seulement celle du plus fort qui est toujours la meilleure?). Ce n’est pas une idiotie de penser que la passion compte aussi pour l’humanité. Il suffit d’aller dans un pays en guerre pour comprendre que la raison n’est pas le seul guide de l’humanité. On peut le déplorer mais il me semble que ce sera le cas encore longtemps.
Cordialement
SD