Visions du combat futur – Quatrième partie : propositions autour d’un nouvel ordre mixte
Il y a en matière d’art militaire une vieille obsession à trouver une unique solution à des problèmes complexes. On cherche l’arme miracle, la tactique ultime ; on cherche dans les combats passés la recette du succès futur. Confronté sans cesse à l’incertitude la plus grande, le tacticien cherche – et c’est humain – à réduire celle-ci à néant, et est parfois prompt à confier le succès de ses armes à tel concept ou telle technologie qui – on le lui assure – lui donnera le succès. Le fait qu’il s’agisse toujours d’une illusion n’enlève pas à cette promesse son pouvoir de séduction : l’espoir que cette fois-ci soit la bonne est souvent plus fort que le doute. En témoigne la manière dont, de l’Europe aux Etats-Unis, militaires et civils – politiciens, chercheurs, stratégistes – s’efforcent de convaincre, et en premier lieu de se convaincre, que la guerre ne serait plus un art mais une science. Et qu’il existerait donc une formule, au sens mathématique, de la victoire, qu’il suffirait de découvrir pour assurer celle-ci. Les limites de ce mode de pensée sont évidentes, et invitent à ne pas se laisser charmer par des modèles théoriques trop parfaits. Le combat est le règne de la contingence, de l’incertitude. La tactique ne doit pas chercher à effacer celles-ci. Bien au contraire, elle doit en jouer et loin de chercher à les dominer, doit les utiliser, être le roseau et non le chêne. Loin de chercher « la » solution à toutes les situation, le tacticien doit devenir maître dans l’art de s’adapter en permanence à des situations nouvelles, et ne jamais offrir à son adversaire la même combinaison. C’est dans la variation infinie des possibilités, dans la pratique permanente de la combinatoire, que le chef tactique rencontrera le succès. Pas toujours, et pas nécessairement : il est toujours possible de rencontrer meilleur que soi. Mais en apprenant de ses erreurs, et en cherchant sans cesse à améliorer son art, bien plus en combinant intelligemment des subordonnés qui seront eux aussi animés de cette soif de perfection, l’armée qui maîtrisera le mieux la combinatoire et qui cherchera sans cesse à trouver de meilleures combinaisons sera plus sûrement victorieuse que toute autre.
Aussi est-il temps de retrouver les chemins de l’excellence en développant un art tactique ouvertement hybride, c’est à dire sachant combiner des modes d’action en apparence opposés : un nouvel ordre mixte.
L’ordre mixte, synthèse de la réflexion tactique du XVIIIe siècle
Le XVIIIe siècle est une période d’intense réflexion sur la guerre, et les débats théoriques du siècle des Lumières annoncent les transformations des guerres de la Révolution et de l’Empire. Parmi les grands débats en matière tactique qui agitent l’époque, la querelle entre l’ordre mince et l’ordre profond pour l’infanterie est l’un des plus vifs.
Les promoteurs de l’ordre mince préconisent l’emploi de l’infanterie en ligne, ce qui donne des dispositifs occupant un front large mais sans profondeur (d’où l’appellation « mince »), considérant que le feu est désormais l’outil principal de l’infanterie et qu’il faut donc adopter des formations permettant de tirer au mieux parti de celui-ci. Un déploiement linéaire, parce qu’il permet à un maximum de soldats de faire usage de leur arme, est donc le mieux adapté. Cette formation a pour principal défauts sa faible profondeur qui la rend vulnérable à une charge (puisque ne disposant pas de la densité nécessaire pour l’encaisser) et sa trop grande largeur qui rend son déplacement difficile. Ajoutons que la faible profondeur exclut tout choc prolongé, puisque le dispositif se fragmente rapidement, faute de rangs pour remplacer les pertes. C’est donc une formation assez statique, et des lignes opposées tendent à se fusilier mutuellement sans bouger (phénomène constaté aussi bien au XVIIIe siècle que pendant la guerre de Sécession au milieu du XIXe siècle). La ligne est donc une formation dont le combat est basé sur l’attrition mutuelle, ce qui exige des combattants plus que du stoïcisme, de la résignation. Comme toute formation basée sur le feu, elle tend à déshumaniser la guerre. A partir des guerres du règne de Louis XIV, la ligne s’impose comme la formation de combat principale de l’infanterie et les batailles du XVIIIe siècle présentent l’image de lignes antagonistes déployées parallèlement les unes aux autres et faisant usage du feu pour tenter de briser la cohésion adverse. L’attrition y est lente, mais prolongée. La réalité est bien sûr plus nuancée, et il y a de multiples exemples de choc dans les batailles des bien mal nommées « guerres en dentelles », mais la ligne règne en maître et génère un « pat » tactique faisant des batailles des affaires incertaines et meurtrières, que les généraux cherchent à éviter. Pour résoudre ce pat, Frédéric II met au point et utilise avec un certain succès « l’ordre oblique », en déployant sa ligne de manière non plus parallèle mais de manière à former un angle avec la ligne adverse, ce qui permet de concentrer le feu de toute la ligne amie sur une portion plus réduite de la ligne adverse. Cette méthode permet entre autres la victoire de Frédéric sur les autrichiens à Leuthen, en 1757. Mais le dispositif lui-même reste intangible. C’est un français, le chevalier de Folard, qui va chercher à développer une méthode permettant d’obtenir la décision, en se faisant le promoteur de la colonne d’attaque, formation dont la finalité est le choc à la baïonnette en un point unique de la ligne adverse. La profondeur de la colonne lui permet de venir facilement à bout, au corps à corps, de la mince ligne (3 rangs de profondeur). La contrepartie de cette formation utilisant le choc est son incapacité à tirer le meilleur parti de son armement à feu (mais Folard va jusqu’à préconiser d’armer les soldats de piques) et surtout son extrême vulnérabilité au feu. En effet, la profondeur du dispositif et son étroitesse permet de concentrer son feu sur la tête de colonne et de la décimer, tandis que l’artillerie peut ravager une colonne dans toute sa profondeur avec un seul boulet. Toutefois, la colonne est une formation plus mobile, et moins « inhumaine » que la ligne, puisque le choc permet de libérer l’énergie du soldat et place celui-ci dans une situation où il peut, une fois le choc obtenu, sembler plus maître de son destin. Dans une colonne, l’attrition immédiate est plus forte, mais ne se prolonge pas. Pendant tout le siècle, le débat fait rage, les un et les autres s’opposant sur les mérites et défauts respectifs des deux formations.[1].
Ce n’est qu’à la Révolution que le débat va être tranché. Par le processus dit de « l’amalgame », chaque bataillon de l’ancienne armée royale se voit en 1794 adjoindre deux bataillons de volontaires, unis dans une même « demi-brigade » (nouveau nom du régiment). Les volontaires sont généralement plein d’allant, mais mal entraînés. Les anciens soldats du Roy sont eux des professionnels expérimentés, mais deux fois moins nombreux et sans doute moins « romantiques » dans leur approche de la guerre. La nouvelle armée révolutionnaire va donc tenter de tirer le meilleur de ces ressources, et progressivement développer une combinaison, d’abord malaisée puis de mieux en mieux maîtrisée, entre la ligne, que seule une troupe expérimentée peut pratiquer avec efficacité, et la colonne, qui demande moins d’entraînement mais plus d’élan. Une synthèse émerge alors, qui réconcilie dans le fracas des combats ordre mince et ordre profond. L’ordre mixte est né, qui voit les demi-brigades (redevenues régiments en 1803) alterner au sein de leur dispositif bataillons en ligne, qui procurent une base de feu, et colonnes d’assaut qui fournissent un élément de choc. Raffinement supplémentaire, l’armée française adjoint à ces deux modes d’action un troisième, le combat en tirailleurs, qui loin d’être pratiqué par les seuls régiments d’infanterie dite légère est adopté par l’ensemble des unités. A la mixité linéaire (ligne/colonne) s’ajoute une mixité entre linéarité (ordre serré) et non-linéarité (ordre dispersé ou formation en tirailleurs). Cette remarquable souplesse fit de l’infanterie française la meilleure au monde, capable vingt ans durant de damer le pion à l’Europe coalisée, et lui permit de disposer de la souplesse nécessaire pour s’adapter à l’ensemble des situations tactiques qu’elle pouvait rencontrer à l’époque[2]. Cette hybridation de concepts qui s’étaient des décennies durant opposés rageusement doit inspirer la réflexion présente. Aujourd’hui, un nouvel ordre mixte est nécessaire, qui dépasse les oppositions contemporaines pour en faire la synthèse, tirant le meilleur de chaque théorie nouvelle.
La situation actuelle
Dans une certaine mesure, la situation actuelle est comparable à celle du XVIIIe siècle. Le débat tactique (ainsi qu’opératif et stratégique d’ailleurs) est important. De nouvelles théories émergent, et cherchent à transformer les armées pour tirer le meilleur parti des évolutions en matière de technologies. Des modèles alternatifs se développent. Toutefois, la synthèse qui permettra de tirer au mieux partie des réflexions engagées depuis trente ans, depuis l’avènement des munitions guidées de précision et des technologies de l’information et l’essor de la RMA (Revolution in Military Affairs), reste à écrire. Jusqu’ici, les modèles proposés pêchent en effet par plusieurs défauts, exposés dans le précédent billet de cette série. La volonté de trancher avec voire de dénigrer le passé récent propre aux promoteurs de la RMA comme à ceux de l’actuel tropisme « contre-insurrectionnel » constituent également des obstacles sérieux au développement d’un art tactique renouvelé. Dans les deux cas en effet, il s’agit d’imposer institutionnellement une vision unique du combat futur, là où celui-ci a toutes les chances d’être pluriel. Le concept de guerre hybride tel qu’il peut être exprimé actuellement est également perfectible, dans la mesure où il ne semble prendre en considération que les techno-guérillas de type Hezbollah. En fait, les pays dits occidentaux sont intimement persuadés d’être invincibles dans un combat conventionnel, au point d’en conclure à l’existence d’une « dissuasion classique ». On ne peut s’empêcher de penser à l’armée prussienne de 1806 : persuadée de son invincibilité depuis la guerre de Sept Ans, elle fut écrasée par l’armée française faute d’avoir pu concevoir que toute supériorité n’est que transitoire . Or il semble bien que la supériorité militaire des armées occidentales s’effrite : quand on voit les difficultés rencontrées pour vaincre les Talibans ou le Hezbollah, voire même l’impossibilité (d’ailleurs non recherchée par les Israéliens) pour Tsahal d’écraser le Hamas, on peut être raisonnablement dubitatif sur la possibilité de vaincre un adversaire doté de moyens conventionnels mais en usant de manière créative. Il n’est dès lors pas exagéré de parler de crise de l’art de la guerre, une crise d’autant plus grave que la réponse adopté semble pour le moment le dos rond, voir la politique de l’autruche. Une telle attitude est suicidaire à court terme : l’aveuglement le disputant à la complaisance, c’est finalement avec le sang qu’il faut payer le refus du changement, quand celui-ci ne prend pas le goût amer de la défaite. Michel Goya, dans un article intitulé »Dix millions de dollars le milicien », a bien identifié cette crise. En matière tactique, si la défaite n’est pas encore à l’ordre du jour, l’échec est déjà perceptible. Du Liban à l’Afghanistan, en passant par l’Irak, la décision échappe aux deux camps, et la victoire se définit de plus en plus par la préservation du terrain, critère d’autant plus discutable que le vainqueur abandonne généralement celui-ci dans les heures qui suivent. Au niveau tactique, le refus des pertes, un repos excessif sur les appuis, renforcent l’impression de sclérose tactique d’armées qui semblent devenues incapables d’obtenir mieux que des succès ponctuels et éphémères et inaptes à manœuvrer. Statiques, incapables ou refusant le choc avec l’adversaire, nos armées professionnelles ressemblent de plus en plus à leurs homologues d’Ancien Régime et laissent craindre qu’un conflit où les forces en présence s’équilibreraient mieux ne dégénèrent en un « 14-18 de haute technologie ». Le refus des pertes est à ce titre symptomatique d’une incapacité à accepter les réalités du combat, aussi dures soient-elles. Un renouveau tactique passe donc d’abord par une étude sans concession du caractère de la guerre future, puis par une réforme des concepts, des structures et des moyens.
Les conditions du combat futur
Le nouvel ordre mixte devra se déployer dans un environnement tactique marqué par la notion de complexité. Cette complexité, qui n’est pas la complication, ne doit pas être vue comme un facteur négatif mais au contraire comme l’ouverture d’un champ considérable de nouvelles possibilités de manœuvre, de la même manière que les nombres complexes ont ouvert de nouvelles possibilités en mathématiques et en physique. La complexité de l’environnement futur sera tout autant physique qu’intellectuelle, et fera la part belle à l’intelligence créatrice. La place de l’homme dans le combat sera donc centrale. La complexité ne doit dès lors pas être un facteur d’inhibition tactique, comme cela semble être trop souvent le cas actuellement, mais bien de libération du génie combinatoire. Plus spécifiquement, la complexité de l’environnement de combat futur se déclinera en facteurs physiques, humains, intellectuels et idéels. Un travail de prospective complet sur l’environnement de combat futur sortirait du cadre de se billet. En outre, tout travail de prédiction est par nature prompt à connaître l’échec. Les réflexions proposées ci-après doivent dès lors être considérées comme des hypothèses informées, et ne sont bien entendu pas exhaustives :
- L’espace d’opérations, en d’autres termes le terrain, sera caractérisé par une complexité élevée, qu’elle soit naturelle ou artificielle. Aux niveaux tactique et opératif, le terrain sera tridimensionnel, et le combat ne sera plus terrestre mais aéroterrestre. Il sera nécessaire de gérer une complexité qui se déclinera selon deux axes. Le premier sera l’alternance entre espaces « lisses » (air, déserts, terrains ouverts) et « striés » (ou rugueux), selon la distinction opérée par Deleuze dans Mille plateaux. Ce premier facteur de complexité se manifestera à tous les niveaux : une ville sera un espace strié au niveau GTIA, mais une rue de cette ville pourra être lisse du point de vue d’un groupe de combat. La complexité sera donc variable en fonction du niveau à laquelle on la contemplera. Ce phénomène n’est bien sûr pas nouveau, mais sera aggravé par l’omniprésence des modifications humaines du terrain. Ces transformations accentueront la complexité naturelle d’un espace en striant des zones lisses (villes au milieu de plaines) mais aussi en créant une rugosité du terrain là où elle était inexistante, par l’aménagement d’infrastructures qui auront soit une intention militaire, soit seront réexploitées en ce sens. Le développement des souterrains et le retour d’une recherche du combat en milieu complexe (naturel – montagne ou jungle – ou artificiel – ville), y compris pour des armées classiques (on pourrait prendre ici pour exemple l’armée singapourienne), renforceront la complexité de l’espace aéroterrestre. L’enjeu de la maîtrise du terrain sera la capacité à passer rapidement d’un mode « lisse » à un mode « strié ». Deuxième axe de complexité, l’alternance entre « vide » et « plein », autrement dit le combat lacunaire. La lacunarité de l’espace de bataille augmentera à la fois l’incertitude (un espace apparemment vide pouvant en fait se révéler brutalement occupé) mais aussi les opportunités, en offrant de plus larges possibilités de manœuvre et en augmentant de même l’incertitude chez l’adversaire. La conséquence opérative sera l’acceptation de l’imbrication comme norme. Les lignes de fracture entre vide, plein, lisse et strié pourront se recouper, mais sans que cela constitue une norme : il faudra donc raisonner le terrain selon ces quatre critères qui pourront se combiner.
- Conséquence logique de la densification de l’occupation du terrain, les opérations se dérouleront dans un environnement humain marqué par l’imbrication entre combattants et non-combattants. Si la population pourra dès lors être considérée comme une composante du terrain, il faudra pourtant se garder de le faire. En effet, assimiler la population à un simple milieu (notion de « terrain humain ») reviendra à nier à celle-ci son existence de peuple, autrement dit son existence politique, entraînant une incapacité à la gouverner. La manœuvre jusqu’au niveau tactique devra donc se penser y compris en termes politiques, et non « mécaniser » les populations en simple demandeurs de services (vivres, santé, sécurité, etc.). Que la population civile soit partie prenante ou non dans le conflit, il faudra lui réserver une place à part soit en cherchant sa neutralité (modèle des guerres limitées du XVIIIème siècle) soit en cherchant à la gagner à son camp (modèle « colonial »), dans tous les cas en l’acceptant comme un acteur et non seulement un spectateur des opérations. Le gouvernement, et non seulement la gestion (ou gouvernance) des peuples de l’espace d’opérations pourront faire partie des attributions au moins temporaires des armées.
- Le développement de la dimension spatiale donnera naissance à un combat aérospatial parallèle au combat aéroterrestre. Ces deux dimensions tiendront au XXIème siècle la même place respective que le combat terrestre et le combat aérien dans la première moitié du XXème siècle. Il aura donc tendance à augmenter la complexité du combat aéroterrestre – qui seul nous intéressera ici – en affectant indirectement celui-ci. Le tacticien aéroterrestre devra donc composer avec ce qui s’apparentera de son niveau à une inconnue, hors de son contrôle direct. L’unification des deux sphères de combat s’effectuera au niveau opératif. En revanche, un domaine de combat connaîtra dans le domaine aéroterrestre un développement considérable, similaire à celui qu’il a déjà connu – et continuera de connaître – au sein des sphères aérospatiale et aéromaritime. Il s’agit du combat électronique, ou plus exactement du combat cybernétique, autrement dit d’un combat préoccupé par l’information et sa circulation. Ce combat jouera un rôle majeur dans le combat aéroterrestre futur, au point d’en constituer une composante tactique essentielle, au même titre que le combat de contact (infanterie et arme blindée cavalerie) ou indirect (artillerie et aviation tactique). Ce nouveau domaine de combat, encore restreint aujourd’hui, devra être intégré à la manœuvre future ; il faudra aussi apprendre à continuer de se battre en dépit d’un échec dans ce domaine. Dès lors, la complexité de la manœuvre sera augmentée, conduisant là encore à une combinaison d’incertitude et d’opportunités nouvelles.
- La complexité du combat futur sera renforcée par l’accroissement de la dissemblance des camps antagonistes. Cette dissemblance n’aura pas nécessairement à voir avec une différence de niveau technologique : des adversaires même de niveau technologique identique pourront se distinguer par des choix divergents en matière d’organisation et de modes d’action. La diffusion accélérée des technologies les plus avancées et le rattrapage rapide en matière scientifique et technologique des pays dits occidentaux par les autres nations conduira non à une « occidentalisation » des sociétés mais à une appropriation différenciée des savoirs et des techniques. De la même manière, les choix organisationnels et méthodologiques en matière militaire seront culturellement (et politiquement) différents, conduisant à une infinité de modèles locaux, et complexifiant dès lors la tactique qui devra prendre en compte une forte dissymétrie entre adversaires. Des forces reposant sur des modèles différents s’affrontant, les affrontements gagneront en complexité par rapport aux projections actuelles fondées, en combat conventionnel, sur des forces relativement symétriques en termes d’organisation.
Dans ces conditions, c’est le développement d’organisations et de modes d’actions adaptés qui sera déterminant dans l’obtention du succès, la performance tactique prenant le pas sur les facteurs matériels qui joueront essentiellement au niveau sub-tactique (performance opposées des projectiles et des blindages, des senseurs et des systèmes de contre-mesures, etc.). La complexité accroîtra l’importance des facteurs locaux, mais la guerre ne se gagnant pas par la seule adjonction de succès locaux, il faudra se garder d’une « dictature du tactique » qui tendrait à ce que le local entraîne le global. L’importance renouvelée des conditions locales, et donc du niveau tactique, devra donc s’accompagner d’une valorisation d’autant plus grande du niveau opératif, seul à même d’unifier les actions locales dans la direction voulue par la stratégie. Par rapport à l’interprétation communément admise du paradigme du « caporal stratégique », le combat futur nécessitera au contraire une organisation opérative solide et un respect des échelons intermédiaires, afin d’éviter la dilution de la stratégie dans le détail d’une part et sa paralysie par la peur de ceux-ci d’autre part. Le rôle de l’homme n’en sera donc que plus déterminant.
Vers de nouveaux ordres mixtes
Au vu des hypothèses exprimées ci-dessus, il semble plus pertinent de parler d’ordres mixtes au pluriel plutôt que d’un ordre mixte unique et, de ce fait, trop vite épuisé. En tenant compte de ce qui précède, il apparaît que les armées auront à maîtriser un combat complexe, hybridation permanente de modes d’action, de technologies et de milieux en apparence antagonistes, contre des adversaires non seulement dissemblables à la force amie, mais également entre eux, de sorte que toute « recette » tactique n’aura qu’une utilité relative. Un tel espace de combat ne saura donc se satisfaire, pour être exploité avec efficacité, de solutions uniques ou simplistes. Ni les modes d’action classiques ni des modèles plus nouveaux, mais trop limités ne sauront suffire à emporter la décision. La combinatoire devra donc être au cœur de la tactique.
Les pistes qui suivent s’articuleront selon cinq axes majeurs : principes fondateurs, organisations & déclinaison par fonction opérationnelle, modes opératoires, déclinaison capacitaire. Seul le premier de ces axes sera détaillé ici. Les quatre suivants feront l’objet d’un développement ultérieur. Il faut noter que ces principes fondateurs ne sont pas, et n’ont pas la prétention d’être, des « principes de la guerre ». La trilogie de la liberté d’action, de la concentration des efforts et de l’économie des moyens reste cardinale, et les principes suivants ne sont pas des principes d’action (ou en tout cas pas directement) mais les principes fondateurs d’une réflexion. Ils n’ont donc pas pour objet de s’ajouter ou de remplacer les principes classique, mais de proposer un modèle d’approche de la tactique.
- On l’a dit, il ne peut y avoir seulement un ordre mixte : la variété non seulement des conditions matérielles mais aussi des référents idéels entraînera, les facteurs politiques, culturels et sociaux aidant, des réponses différentes voir divergentes suivant les sociétés qui les produiront. Un modèle d’armée est toujours d’abord le reflet de la société dont il est issu. Les propositions faites ici ne doivent donc être prises que comme un modèle tactique parmi d’autres. Le premier principe, dès lors, sera le principe de variété, qui postule qu’il existe plusieurs réponses à un même problème. Si certaines seront inévitablement meilleures que d’autres, il n’en existera pas forcément une unique réponse exacte. Ce principe est essentiel dans la mesure où il pose comme vertus premières la capacité d’adaptation et l’aptitude à l’imagination. Ce principe trouve de nombreuses illustrations historiques, des armées différentes pouvant résoudre un problème tactique similaire de manières radicalement différentes. Pendant le premier conflit mondial, l’armée allemande et l’armée française apporteront ainsi des réponses différentes au problème, identique, de forcer les lignes fortifiées de tranchées adverses. Les français parieront sur un outil technique, le char, et sur une approche méthodique, les allemands ne développeront pas le char (il y aura quelques modèles, mais pas de concept d’emploi) et se reposeront sur des tactiques d’infiltration d’infanterie. Tactiquement, les deux méthodes se valent obtenant de bons résultats.
- Dès lors qu’il existe plusieurs possibilités équivalentes (au sens premier : « de même valeur »), un second principe vient naturellement s’ajouter au premier : le principe d’équilibre, qui considère qu’il faut équilibrer en permanence dans l’action des modes d’action différents et tenir le point d’équilibre entre des concepts et des méthodes en apparence opposés. La notion de « réversibilité », à la mode actuellement, ressort de ce principe, et les corollaires des principes de la guerre exposés dans le manuel FT-02 (pp. 32-33) de l’armée de terre française y souscrivent.
- Découlant naturellement des deux précédents et véritable cœur de la réflexion, le principe combinatoire postule que, dès lors qu’il existe plusieurs solutions équivalentes dont il est possible de faire l’équilibre, la clé du succès tactique repose sur la combinatoire tactique, c’est à dire sur la capacité à hybrider harmonieusement les moyens et les concepts de la manière la plus adaptée à la situation. Pour être pleinement réalisé, ce principe suppose de disposer d’organisations adaptées en mesure de tirer au mieux partie des conditions instantanées du combat. Il impose de développer l’esprit d’initiative et la créativité tactique. Pour illustre ce principe essentiel, on donnera des exemples de combinaisons génériques pouvant être nuancées en fonction des circonstances et sur lesquelles on aura l’occasion de revenir : combinaison de l’offensive et de la défensive, du feu et du choc, de la manœuvre et de l’attrition, de la linéarité et de la non-linéarité, de l’espace et du temps[3] .
- Enfin, last but not least, le principe de contingence qui pose que, pour citer De Gaulle, l’action de guerre revêt essentiellement le caractère de la contingence, autrement dit que l’adaptation est plus importante que la planification. Il ne s’agit pas de dire que cette dernière ne doit pas être pratiquée, bien au contraire. Il s’agit simplement de reconnaître que la guerre est le règne de l’incertitude, et que toute planification sera chamboulée par les évènements. Dès lors, la meilleure manière non seulement de résister à l’incertitude et à la « friction » du combat mais de les exploiter au maximum réside dans la capacité à jouer avec la contingence pour s’adapter au mieux à la situation, sans chercher à lutter mais au contraire en acceptant l’entropie naturelle du champ de bataille, voire en l’accentuant. Intériorisée, l’acceptation de la friction conduira à une meilleure adaptation réactive réduisant considérablement non la surprise mais les effets de celle-ci, la surprise étant acceptée comme normale. Un bon exemple de cette approche peut être trouvé dans la conduite des phases initiales de la bataille de Iéna par Napoléon.
Ces principes fondateurs peuvent être déclinés dans les quatre domaines d’application que sont organisations & fonctions opérationnelles, modes opératoires, capacités (que l’on préfèrera à « moyens »), auxquels les billets suivants de cette série seront consacrés, et qui tireront les conséquences plus pratiques des conditions nouvelles du combat.
D’ores et déjà, j’invite les lecteurs à commenter et à discuter les réflexions ci-dessus.
Billets déjà parus dans la série « Visions du combat futur » :
- Première partie : perspectives et réflexions sur le combat aéroterrestre de haute intensité
- Deuxième partie : comment combattre dans les espaces lacunaires ?
- Troisième partie : la nécessaire hybridation des concepts tactiques
Notes
[1] On notera avec intérêt que, comme il était de coutume à l’époque moderne, les écrits antiques jouent un rôle majeur. Folard fonde ses écrits sur la lecture de Polybe et l’analyse des batailles antiques ; l’ordre oblique de Frédéric a une filiation conceptuelle avec l’ordre oblique macédonien tel qu’Alexandre le pratique.
[2] Pour poursuivre l’analogie antique, la différence entre ordre oblique et ordre mixte est dans la nature de la manœuvre : d’externe (on déplace toute la formation) elle devient interne à celle-ci. C’est la même différence entre la tactique macédonienne (où l’aile droite – parfois gauche – de cavalerie lourde doit obtenir la décision) et la tactique de la légion romaine où la décision vient de la division, en manipules puis en cohortes de celle-ci, qui permet de manœuvrer à l’intérieur du déploiement de l’unité.
[3] Voir à ce dernier sujet la troisème partie (deux billets) de la série »Repenser l’art de la guerre au XXIe siècle ».
A Stent.
Merci de votre réponse.
Sur la population, j’approuve vos remarques (je suis désolé, je n’ai pas encore lu l’ouvrage de Ruppert Smith). D’un point de vue historique, les guerres ont toujours été menées parmi les populations: conflits du moyen-âge, époque napoléonienne (rappelons nous qu’à cette époque les troupes avançant plus vite que la logistique, la population en faisait souvent les frais!), dernière guerre mondiale, indochine, corée, liban, irak… Effectivement, la guerre froide, en particulier à cause de la dissuasion nucléaire à engagé les militaires à ignorer le « système » population. Je me souviens de manoeuvres en Allemagne à la fin des années 80, où – jeune aspirant du contingent – nous passions une semaine à affronter l’ennemi « orange », pour finir par une frappe nucléaire. De population, pas l’ombre! Sauf dans la réalité pour demander au burgmeister de s’installer dans son village !
Il serait à mon sens intéressant d’intégrer à la « white cell » des grands exercices (la white cell représente l’environnement « non militaire », entre autres la population) des politiques purs (non réservistes opérationnels, donc sans culture militaire), voire des syndicalistes, des membres du monde associatif. Ceci permettrait d’animer de manière plus réaliste la population et de poser des problèmes inédits, mais réalistes.
J’amende quelque peu mon propos sur les sujets déjà évoqués par d’autres pour vous dire qu’il y en a un qui me semble prometteur: celui de la guerre dans l’espace. Etant terrien, je suis assez inculte sur le sujet et je suis curieux de vous lire…
Concernant FT02, je suis heureux que vous partagiez mon avis (c’est toujours agréable, n’est ce pas ?), mais je reconnais avoir eu la dent dure. Pour avoir connu l’époque du néant doctrinal de l’AT, je suis bien conscient du progrès que représente cet ouvrage. J’espère néanmoins qu’il ne sera pas pris comme une « bible » par mes camarades d’active, mais comme une base de départ qu’il convient de faire évoluer. Je regrette simplement – comme vous – que les auteurs de l’ouvrage n’aient tenu aucun compte des travaux de Yakovleff et Hubin. J’ai lu les deux avec un égal intérêt, mais j’avoue que je suis plutôt un tenant de Yakovleff, dont l’ouvrage ne me quitte pas (il m’arrive de l’emmener lors de mes périodes sous les drapeaux, et je m’y réfère souvent).
Pour la formation des officiers, je pense que cela progresse, mais il faut du temps. Faisont confiance au Général Desportes.
Bien cordialement,
Bonjour,
L’élaboration des documents de doctrine est de l’ordre du marathon dans un monde qui sprint, pour prendre une analogie connue. Le FT-02 a effectivement le mérite d’exister. C’est un document doctrinal qui s’intègre dans les concepts actuels qui ne sont pas toujours très novateurs. La nouveauté vient d’abord plutot des concepts qui sont ensuite déclinés en doctrine.
De « nouveaux » concepts comme ceux développés par le Gal Hubin me semblent des pistes à explorer.
Si vous voulez lancer le débat sur le « comment », je suis partant dans la limite de mon temps et de mes compétences.
Cordialement,
SD
@ luc becker
Merci pour votre commentaire. J’aime assez la comparaison avec la boîte à outils et entre « compagnon fini » et « maître », et je suis pleinement d’accord sur l’effet majeur, qui est une approche conceptuelle très riche.
Effectivement le principe de variété peut sembler une évidence, mais il faut bien commencer par le commencement, poser les bases sûres qui permettront ensuite de projeter la réflexion.
Concernant le rapport aux peuples/sociétés rencontrées en opérations (population étant en soi une appellation « dépolitisée »), ce que vous dites ne me surprend pas vraiment, mais ne laisse pas d’inquiéter dans la mesure où je suis persuadé qu’on passe là à côté de l’essentiel. Il est indispensable de considérer la population autrement que comme un milieu, et je suis en la matière en désaccord quasi-total avec la thèse de l’ouvrage de R. Smith, qui fait un contresens historique complet en ce qui concerne la place des peuples dans la guerre. C’est la guerre froide et sa planficiation militaire déconnectée du monde extérieur qui a rejeté les populations hors de la guerre : la distinction guerre industrielle/guerre parmi les populations ne tient pas confrontée à une analyse fine de l’Histoire. L’affirmation – vraie – de Smith concernant le fait qu’on l’a formé pour un type de guerre et qu’il en a constamment livré un autre ne signifie pas que la formation qu’il a reçue était fondée sur une analyse pragmatique de la guerre, mais bien sur une vision étroite (étriquée ?) de celle-ci. C’est donc plus la formation professionnelle et intellectuelle des militaires (britanniques au moins) qui était (est ?) à revoir, et non le paradigme de la guerre qui avait changé : la seconde guerre mondiale est une « guerre parmi les populations », comme la première d’ailleurs (beaucoup moins c’est vrai, du fait de l’exode des zones de combat et de la relative staticité de celles-ci), les guerres napoléoniennes aussi (Espagne bien sûr, mais aussi Pologne, Tyrol, Egypte), et on pourrait multiplier les exemples.
Enfin, concernant le désaccord, et bien laissez-moi le temps de projeter, justement, ma réflexion plus loin. L’un des avantages du blog pour moi est qu’il me permet de « penser en écrivant ». Cela à pour défaut un sentiment perpétuel d’inachèvement, mais c’est néanmoins un formidable outil pour raffiner la pensée non seulement dans le cloître de l’esprit (qui reste néanmoins essentiel : il faut que l’esprit « fasse retraite » pour se ressourcer, et qu’il prenne le temps nécessaire à la sédimentation des idées) mais également dans le débat et la confrontation (amicale). Cela dit, vous avez raison, je n’apporte pas grand chose de nouveau sur les points que vous mentionnez. A ma décharge, d’autres auteurs se sont largement penché sur la question avant moi, et souvent avec brio. Je reviendrais très prochainement néanmoins sur l’espace et sa signification tactique et opérative, sa perception et sa conceptualisation, de même que sur la « cyberguerre ». Tout ne sera pas forcément nouveau, mais j’ai quelques idées quand même…
Enfin, sur FT-02 la deuxième partie est effectivement décevante de classicisme et de manque de contenu. Il s’agit plus d’un « état de l’art » peu précis que de la formulation d’une doctrine vraiment originale. L’ouvrage de M. Yakovleff est à la fois plus complet et définit mieux le concept d’effet majeur, celui de G. Hubin plus novateur, pour ne citer que des auteurs français et récents. Mais l’armée française, en matière doctrinale, revient de loin et un manuel même perfectible est mieux que pas de manuel du tout : le FT-02 a au moins ce mérite, et j’ai le sentiment qu’il n’a pas d’autre prétention. Rome ne s’est pas faite en un jour, et ramener notre armée au niveau d’excellence conceptuelle qui a su être le sien (au XVIIIème siècle en particulier) prendra du temps (et nécessitera aussi peut-être une réforme de la formation des officiers au passage). Les principaux risques en la matière me semblent être la modestie justement, voire un vague complexe d’infériorité intellectuelle (complexe à la source de notre fascination mal placée pour les anglo-saxons) qui risque de perturber le déploiement d’une pensée indépendante et pousser à souscrire à des conceptions érronées et qui ne nous correspondrait pas, et le classicisme, utile si il est « culture classique » (essentielle) mais néfaste si il est conservatisme.
Voilà un billet bien intéressant, ouvrant un chantier si vaste qu’il en est sans fin ! Mais pas sans intérêt.
Pour reformuler ce que vous énoncez, je dirai que la tactique est une forme de créativité. Cela implique qu’elle est à la fois une technique (ou une science, mais je préfère le mot technique) et un art.
Etant ingénieur de profession (et accessoirement officier de réserve ORSEM), j’aime employer la comparaison avec la technique « vraie ». Tout tacticien dispose d’une boîte à outils, faite de méthodes d’analyse et de procédés (acquis par apprentissage, expériences, lectures etc.). Le bon usage de ces outils ressort de la technique, tandis que l’art de combiner les outils (quel outil employer à quel moment pour quel effet) est du domaine de l’art (ou de la création, si l’on préfère). Le « compagnon fini » possède une boîte à outils bien remplie, et sait bien utiliser ses outils. Le « maître » est capable de concevoir de nouveaux outils, mais, surtout il sait combiner ces nouveaux outils aux anciens, pour réaliser un « chef d’oeuvre ».
Tout ceci pour dire que tout comme vous, je ne crois pas à la méthode ou au procédé miracle.
Ceci me permet d’enchaîner sur votre principe de « variété », qui me semble une évidence (mais il n’est pas inutile de rappeler les évidences..). La méthode française de l’effet majeur en est l’expression. En effet, l’analyse d’une même situation conduit à plusieurs effets majeurs possibles. Le chef en choisit un (l’effet majeur est unique, il faut décider…). Cette décision, c’est l’art du chef! Et de la même manière, d’un même effet majeur, peuvent découler plusieurs modes d’action, très différents et mêmes des postures différentes entre chaque temps de la manoeuvre.
Par conséquent, l’adaptabilité, la souplesse, la capacité à saisir des opportunités (voire à les anticiper et à les favoriser) sont essentielles car on ne peut éliminer ni le brouillard de la guerre, ni la friction.
Par ailleurs, je trouve votre idée sur le rôle de la population tout à fait intéressant. Actuellement, la population est (en tous cas dans les exercices auxquels j’ai participé) considérée comme « gêne » ou « consommatrice de ressources ». L’aspect d’un système animé d’une volonté propre n’est pas évoqué, et effectivement il est très important de prendre en compte la population comme une entité politique (d’ailleurs, les enseignements des opérations de contre-insurrections auraient dû nous orienter vers cette perception, confère D. GALULA et R. TRINQUIER). Ceci plaide pour la création de « POLAD » jusqu’au niveau des GTIA.
Je suis assez d’accord aussi avec votre vision des conflits dissymétriques, que nos tacticiens ont balayés d’un revers de main, en raisonnant uniquement sur les moyens matériels (ou / et le RAPFOR). Ce type d’affrontement est vu comme symétrique en version « facile ». Or, cela risque bien de ne pas être le cas.
Mais, comme on ne peut être d’accord sur tout (sinon, où serait le débat ?), je trouve que vos idées sur le combat aéroterrestre, les milieux – lisses ou striés – la cyberguerre, n’apportent pas un éclairage nouveau.
Comme vous citez FT02, je terminerai en disant que cet ouvrage m’a beaucoup déçu: après une première partie plutôt bonne, la deuxième (le vif du sujet pour un ouvrage traitant de tactique) est décevante. Certains en sont toujours à essayer de « mixer » la méthode des centres de gravité avec celle de l’effet majeur. Or, la guerre étant contingente, incertaine, l’ennemi ayant une volonté propre, à mon sens, c’est la méthode de l’effet majeur qui est la plus appropriée, car dynamique et adaptable. Evidemment, le concept de centre de gravité n’est pas à rejeter, car il offre un intérêt au niveau stratégique et opératif (et parfois au niveau tactique pour l’analyse de nos vulnérabilités).
J’espère que votre billet attirera de nombreaux commentaires, le sujet en vaut la peine.
Cordialement,
@ SD
Merci.
En ce qui concerne le débat art/science de la guerre, il est vrai que ce débat n’est plus formulé en ces termes. Mais je pense qu’il reste plus que jamais pertinent. Pour prendre une analogie, on constate en matière militaire une situation similaire à celle de l’économie. Cette discipline est d’abord une science humaine et sociale ; pourtant, un effort soutenu est engagé pour la transformer en science « dure », en particulier au travers de la mathématisation à l’extrême des processus économiques. L’effet net est de rendre l’économiste aussi peu attaquable que le physicien, alors même qu’il existe plusieurs courants antagonistes en économie. En ce qui concerne la guerre, le processus vise selon moi plus à tenter de combattre l’incertitude, en cherchant la formule du succès : or une telle attitude devient rapidement du scientisme, voire un dogme. En la matière, ce n’est pas tant de science que d’alchimie qu’il faudrait parler.
Pour le passage du « quoi » au « comment », et bien c’est tout l’enjeu des prochains billets ! Il faut qu’il y ait un vrai débat, et une vrai créativité, et pas seulement en matière tactique (mais opérative et stratégique, aussi). Les structures et les organisations, l’articulation entre tactique et art opératif (qu’il faut absolument comprendre correctement : ce n’est pas simplement « le niveau du théâtre d’opérations »), l’articulation des armes, sont autant de sujets clés (et la liste n’est pas exhaustive, et de loin). Vaste programme, mais il ne faut pas reculer devant l’effort.
Bien cordialement
Bonjour,
Je suis assez d’accord avec votre billet dans sa globalité. Le constat est bon.
Concernant le débat sur la guerre comme science ou art, cela ne me semble pas être au cœur du débat actuel. La science et l’art sont des moyens, et comme vous le relevez fort justement il faut combiner les solutions. Ceci étant, l’utilisation de l’arithmétique comme alpha et oméga (une faible part des maths) est souvent une impasse.
Le constat que vous faites me semble donc clair et difficilement attaquable. Le principal problème reste de passer du constat (le « quoi ? ») au « comment ? », c’est-à-dire d’élaborer des doctrines, des procédures, des tactiques et des techniques qui permettront de résoudre une grande partie des problématiques opérationnelles.
Le chantier est vaste… et vous avez raison de le poser !
Cordialement
SD