États-Unis et no-fly zone en Libye : quelques remarques

États-Unis et no-fly zone en Libye : quelques remarques

Les médias se font écho, depuis quelques jours, de la supposée volonté des États-Unis d’instaurer une no-fly zone (déni d’accès à l’espace aérien) en Libye. En réalité, la situation est plus complexe et si plusieurs commentateurs ont pris position dans ce sens, l’attitude tant du département de la Défense que du département d’État semble bien plus réservée. Le général Mattis (qui commande le Central Command) a ainsi rappelé hier que, avant d’instaurer une no-fly zone, il fallait éliminer (détruire donc) les moyens de défense aérienne libyens (SAM en particulier), « douchant » ainsi l’enthousiasme de ceux qui poussaient pour cette « solution ».

USS_Kearsarge_LHD_3
D’une part, les militaires américains n’ont aucune envie de devoir intervenir dans un pays qui les éloigne du vrai secteur stratégique pour eux au Moyen-Orient, la péninsule arabo-persique. Ils ont en outre toujours la situation en Irak, ainsi que la dégradation des relations avec le Pakistan (où le ministre en charge des minorités vient par ailleurs d’être assassiné) à gérer, ainsi que l’Iran à surveiller, la lutte contre la piraterie en Somalie à continuer, mais surtout une guerre en cours en Afghanistan qui accapare leur attention. Alors que le printemps voit dans ce dernier pays le retour des combattants Taliban repliés au Pakistan pour se réorganiser en hiver, avec la fonte des neiges, ajouter un autre conflit en cours à la liste de ceux auxquels participent ou que suivent les armées américaines semble peu raisonnable. C’est dans ce sens qu’il faut interpréter la « douche froide » du général Mattis concernant un éventuel déploiement de moyens aériens.
Pour le moment les Américains positionnent des moyens, ce qui est normal et raisonnable. Mais ces moyens, l’USS Kearsarge (LHD 3), l’USS Ponce (LPD 15), sont des navires amphibies. Le Kearsarge embarque normalement 8 AV-8B Harrier II des Marines, mais c’est insuffisant pour mener des opérations de déni d’emploi de l’espace aérien. Les Américains n’ont pour le moment pas de porte-avions en Méditerranée. Les deux plus proches sont en Océan Indien. Les moyens qu’ils positionnent sont plus polyvalents, mais davantage orientés sur : un raid ponctuel en force, une intervention humanitaire (à la frontière tunisienne par exemple), une saisie de tête de pont pour une intervention de plus grande ampleur. Autrement dit, il s’agit de garder ouvertes un maximum d’option. Cette capacité permise par le format des groupes amphibies américains, est en l’occurrence plus importante qu’avec un groupe aéronaval seul, qui ne peut que frapper et évacuer, mais pas intervenir en force au sol. Elle confirme par ailleurs la pertinence du choix de navires amphibies lourds, conçus comme des navires de combat mais surtout aptes à débarquer des effectifs conséquents : un groupe amphibie américain dispose d’un bataillon renforcé, soit 1 200 Marines pouvant être débarqués, soutenus par un groupe aérien mixte (AV-8B et hélicoptères) et un groupement logistique. Un choix à comparer avec celui de la France, où le Groupement Tactique Embarqué (GTE) est composé d’une compagnie d’infanterie, d’un escadron blindé léger, et de deux sections d’appui (génie et mortier de 120). La stratégie des moyens a d’autres applications qu’en temps de guerre…
Pour revenir à la no-fly zone, comme toujours, il y a des partisans du pour et des partisans du contre, les premiers étant en l’occurrence surtout motivés par l’humanitarisme et les seconds rappelant certaines réalités. Pour le moment c’est le réalisme qui domine; l’évolution de la situation en Libye décidera du reste. Instaurer une no-fly zone, toutefois, serait mettre un doigt dans l’engrenage de l’intervention, une possibilité dont les États-Unis ne veulent pas pour l’instant.

Photo : L’USS Kearsarge (LHD-3) pendant des manoeuvres amphibies en 2005 (Photo US Navy).