
Il y a 70 ans, Barbarossa
Le 22 juin 1941, à l’aube, 3 100 000 soldats de la Wehrmacht, et 660 000 de leurs alliés, Roumains, Hongrois, Slovaques et Finnois, s’élancent à l’assaut de l’URSS. La plus grande opération militaire de l’histoire, lUnternehmen (opération) « Barbarossa » était lancée. Face à ses envahisseurs au service du projet hitlérien de « Reich millénaire », un nombre à peine inférieur de soldats de l’Armée rouge. Des deux côtés, hommes, matériels (3648 chars et 2815 avions côté allemand, 14200 et 8472 chez les Soviétiques !), véhicules, chevaux (près d’un million) son amassés en quantités qui défient la capacité de l’imagination à se les représenter. Par cet acte, débute ce que les Russes appellent encore aujourd’hui la « Grande guerre patriotique », une lutte à mort entre le IIIe Reich nazi et l’URSS stalinienne. Ce conflit gigantesque, dont l’ampleur et l’intensité ne sont approchés que par la lutte que se livrent Américains et Japonais dans les immensités océaniques du Pacifique – sans que la Guerre du Pacifique, pourtant violente, n’approche la brutalité de l‘Ostfront -, est aussi pour l’Allemagne nazie le début de la fin. En dépit de victoires initiales spectaculaires, et d’une avancée qui en décembre 1941 est de 800 à 1300 kilomètres à l’intérieur de l’URSS, la Wehrmacht est un colosse au pieds d’argile. Ses remarquables qualités tactiques vont s’avérer très insuffisantes pour vaincre une Armée rouge qui, après des défaites spectaculaires qui demeurent comme les plus grandes en termes d’hommes tués et capturés et de matériels détruits de l’histoire militaire, va savoir se redresser sous la pression constante de l’ennemi, rattraper ses lacunes et déployer, enfin, ses forces en mettant en œuvre à partir de 1943 un art opératif de plus en plus raffiné, dont l’extraordinaire performance finira par terrasser l’Allemagne en 1944-1945.
Pour revenir sur cette opération gigantesque, rien de mieux ce mois-ci que d’acheter le numéro 2 de Guerres & Histoire, qui y consacre un dossier complet et très accessible, agréablement illustré.
Et pour approfondir l’étude de ce conflit, fondamental tant dans le déroulement de la seconde guerre mondiale que dans l’histoire militaire en général et particulièrement dans l’évolution de la science et de l’art de la guerre, deux auteurs sont incontournables.
Le premier est américain. le colonel (R.) David M Glantz est aujourd’hui sans doute le meilleur spécialiste au monde de l’histoire du conflit germano-soviétique, auquel il a consacré de très nombreux ouvrages. Son Before Stalingrad, consacré justement à « Barbarossa », est un incontournable, comme le sont en réalités tous ses ouvrages dont la grande force est de tirer parti des archives soviétiques, là où jusqu’à son travail (et à celui, antérieur, d’un autre officier de l’US Army, le colonel Dupuy) le seul regard sur le Front de l’Est était allemand.
Le second, d’ailleurs rédacteur en chef de Guerres & Histoire, est français. Il s’agit bien sûr de Jean Lopez, dont les quatre ouvrages parus sur l’histoire de la « Grande guerre patriotique » sont aussi agréables que passionnants à lire… et à relire. Après un Stalingrad, un Koursk (dont la deuxième édition est parue cette année) et un Berlin, c’est à une période moins connue de la guerre, la libération de l’Ukraine après les opérations autour de Koursk, qu’il s’est attelé dans son dernier ouvrage, Le chaudron de Tcherkassy-Korsun, aussi remarquable que les précédents à la fois par sa capacité à synthétiser l’ensemble de l’historiographie parue sur les opérations qu’il aborde et sa compréhension de l’art de la guerre tel qu’il est pensé et pratiquer par les deux camps. Ce dernier point est sans doute ce qui fait la force des ouvrages de Jean Lopez, tant les historiens et plus largement les chercheurs qui s’intéressent aux questions militaires, particulièrement en France, semblent ne pas vouloir se plonger sérieusement dans ce qui constitue pourtant le coeur de leur sujet d’étude, c’est à dire la théorie et la pratique de la science et de l’art de la guerre. Il en résulte trop souvent des ouvrages certes intéressants, mais dans lesquels il est aisé de relever l’incompétence militaire (au sens premier du mot : l’absence de compétence, sans que cela ne soit péjoratif) de l’auteur. Rien de tout cela dans les pages de Jean Lopez, et l’on ne serait trop chaudement recommander les pages de son Berlin consacrées à l’art opératif, tout en attendant impatiemment son prochain ouvrage, un « Bagration » que l’on devine déjà magistral. À noter également, coordonné par Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri, un ouvrage de témoignages de soldats soviétiques, Grandeur et misères de l’Armée rouge, dont les témoignages, drôles, terribles, poignants et toujours passionnants valent le détour et redonnent à ce conflit aux dimensions inhumaines un visage, celui des hommes et des femmes plongés dans la tourmente.
Question, alors que les capacités techniques et industrielles ont progressé de façon exponentielle depuis cette date, serait on encore capable dans les années 2010 de gérer de tels offensives avec des millions d’hommes engagés dans un combat titanesques ? Déjà, durant la guerre froide, on disait dans les années 1980 qu’au bout de quelques semaines toutes les réserves seraient épuisés.