
Souveraineté et puissance : l’exemple grec (actualisé)
« À l’autoritarisme et à l’austérité sévère nous répondrons avec la démocratie, calmement et avec détermination ». Voici ce qu’Alexis Tsipras, premier ministre grec, a déclaré le 27 juin en annonçant la tenue d’un référendum, le 5 juillet prochain, qui amènera les citoyens grecs à se prononcer sur les demandes faites – telles qu’elles étaient formulées au 25 juin — par les créanciers de la Grèce, soit pour les accepter, soit pour les rejeter. Syriza, le parti du premier ministre, fera campagne en faveur du « non ».
En jouant les urnes contre les technocrates, Alexis Tsipras donne au monde une véritable leçon de politique étrangère et intérieure : de puissance et de souveraineté. Le choix du référendum, en effet, est une affirmation claire de souveraineté : les créanciers ne pourront plus, pour obtenir les conditions qu’ils désirent, se contenter de faire pression sur le gouvernement grec. Or celles-ci s’étaient multipliées ces derniers jours : articles dans des journaux européens – dont, en France, Le Monde – appelant plus ou moins ouvertement à un renversement du gouvernement, réception par Jean-Claude Juncker, président de la commission européenne, des partis d’opposition grecs – To Potami, pro-européen, 7% des voix aux dernières élections, mis en avant comme « alternative » par le camp des créanciers – en particulier formaient autant de manœuvres politiques destinées à placer les négociateurs grecs à leur désavantage. L’objectif : piétiner la règle diplomatique d’égalité des parties, qui fait de chaque État l’égal d’un autre, et affaiblir la position grecque en minant celle-ci de l’intérieur, par un jeu sur les factions politiques rivales de celle au pouvoir. Le but poursuivi par cet acte hostile : faire plier le gouvernement Tsipras aux exigences combinées du FMI et de l’Union Européenne – soit le contraindre à « l’austérité sévère » dénoncée par le premier ministre grec.
Cet « autoritarisme », le mot n’est en effet pas trop fort, a fait depuis longtemps sortir la crise grecque du champ des négociations, pour en faire une véritable guerre interne à l’Union Européenne, dans laquelle il s’agit pour le camp des créanciers de priver de sa souveraineté l’un des États membres, la Grèce, par tous les moyens disponibles. La force armée étant donc exclue, mais pas la subversion – recevoir l’opposition et appeler à la chute du gouvernement dans la presse en relèvent – ni, bien sûr, l’emploi de l’arme économique, principal levier employé pour faire plier Athènes. Une négociation vise à confronter des points de vue pour les rapprocher et aboutir à un compromis acceptable pour toutes les parties. Ici, il n’est pas question de négociation : des puissances veulent imposer à une autre sa reddition à leurs conditions, sans contrepartie. Des puissances qui, pour ce faire et pour s’assurer de leur victoire, entendent priver de l’exercice de sa souveraineté le gouvernement « ennemi ».
C’est à cette aune qu’il faut comprendre le choix du référendum : celui-ci restaure pleinement la souveraineté nationale grecque, puisqu’il soumet les « propositions » — les sommations – des créanciers au choix du peuple, exprimé par la démocratie. Après l’avoir tenté par la diplomatie, le gouvernement grec poursuit donc sa défense de sa souveraineté par un autre moyen : la démocratie. Ce moyen est toutefois d’une autre nature, qui en fait un instrument de puissance, peut-être le seul véritable outil de cette nature dont disposent Alexis Tsipras, son gouvernement et sa majorité parlementaire. Car outre trancher la question de la légitimité politique de l’action du gouvernement – mettant fin aux appels au coup d’État et à la promotion par les adversaires d’Athènes de factions prêtes, au sein du parlement grec, à collaborer avec eux – le passage par les urnes achève de dévoiler la nature hostile de l’action du camp des créanciers, et affirme la volonté d’Athènes de défendre sa souveraineté.
Dans une Europe qui en est singulièrement dépourvue – mais comment pourrait-il en être autrement quand l’idéologie qui domine le continent y est foncièrement hostile – Alexis Tsipras a prouvé qu’il pouvait encore y avoir des hommes d’État. Reste à savoir si cela sera suffisant pour que la Grèce défende victorieusement sa souveraineté et restaure sa puissance.
Mise à jour le 29/06/2015 à 11h30 :
Au cours du week-end, les événements se sont accélérés, confirmant l’analyse ci-dessus : l’expulsion de la partie grecque de la réunion de l’Eurogroupe du samedi 27 juin, en particulier, souligne s’il en était besoin qu’il n’était plus question de négocier d’égal à égal mais d’imposer à la Grèce des conditions. La réaction du gouvernement grec – fermeture temporaire des banques et instauration d’un contrôle des capitaux – ne marque elle pas tant une nouvelle étape que la suite logique des événements du week-end : le gouvernement grec ayant fait le choix de la souveraineté démocratique, alors que les « créanciers » entendaient lui imposer une souveraineté limitée, la rupture était inévitable, du fait de l’attitude hostile du camp des « créanciers », alors même que le gouvernement grec continue de laisser ouverte la porte de négociations, à condition que celles-ci en soient réellement et ne consistent pas en un énoncé de conditions à remplir par la Grèce.
C’est ce que résume la courte déclaration du premier ministre grec dans la nuit du 26 au 27 juin, dont voici l’intégralité (passages en gras soulignés par moi) :
« Nous avons livré un combat dans des conditions d’asphyxie financière inouïes pour aboutir à un accord viable qui mènerait à terme le mandat que nous avons reçu du peuple. Or on nous a demandé d’appliquer les politiques mémorandaires comme l’avaient fait nos prédecesseurs. Après cinq mois de négociations, nos partenaires en sont venus à nous poser un ultimatum, ce qui contrevient aux principes de l’UE et sape la relance de la société et de l’économie grecque. Ces propositions violent absolument les acquis européens. Leur but est l’humiliation de tout un peuple, et elles manifestent avant tout l’obsession du FMI pour une politique d’extrême austérité. L’objectif aujourd’hui est de mettre fin à la crise grecque de la dette publique. Notre responsabilité dans l’affirmation de la démocratie et de la souveraineté nationale est historique en ce jour, et cette responsabilité nous oblige à répondre à l’ultimatum en nous fondant sur la volonté du peuple grec. J’ai proposé au conseil des ministres l’organisation d’un référendum, et cette proposition a été adoptée à l’unanimité.
La question qui sera posée au référendum dimanche prochain sera de savoir si nous acceptons ou rejetons la proposition des institutions européennes. Je demanderai une prolongation du programme de quelques jours afin que le peuple grec prenne sa décision.
Je vous invite à prendre cette décision souverainement et avec la fierté que nous enseigne l’histoire de la Grèce. La Grèce, qui a vu naître la démocratie, doit envoyer un message de démocratie retentissant. Je m’engage à en respecter le résultat quel qu’il soit. La Grèce est et restera une partie indissoluble de l’Europe. Mais une Europe sans démocratie est une Europe qui a perdu sa boussole. L’Europe est la maison commune de nos peuples, une maison qui n’a ni propriétaires ni locataires. La Grèce est une partie indissoluble de l’Europe, et je vous invite toutes et tous à prendre, dans un même élan national, les décisions qui concernent notre peuple. » (Source)
Photo : Alexis Tsipras, premier ministre grec. (c) DR/Kostas Tsironis